Ile-de-France: Comment lutter contre les cyberviolences sexuelles et sexistes?
VIOLENCES•La Région se penche, à l'occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, sur ces attaques ayant lieu en ligne…Oihana Gabriel
«C’était sale, je me suis sentie très humiliée», confie Marie*, 15 ans. Cette lycéenne parisienne a eu une rentrée 2014 délicate. Quelques semaines après l’arrivée en seconde, elle reçoit un texto à caractère pornographique... de la part d’une jeune fille. «J’ai éclaté en sanglots. Dans ce texto, elle mettait mon nom, ma couleur de cheveux et imaginait une scène porno où elle se mettait à la place d’un garçon. Elle l’a envoyé à toute la classe, depuis le portable d’un ami. Mais j’ai tout de suite su que c’était elle. Au début, je ne l’ai dit à personne. En classe, j’étais mal à l’aise, stressée. Au bout d’une semaine, j’en ai parlé à la déléguée de classe qui m’a décidée à montrer le texto à ma professeure principale. Elle m’a tout de suite dit que c’était très grave.» Après un conseil de discipline, la jeune auteure de harcèlement sexuel est renvoyée.
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Un adolescent sur quatre victime de cybersexisme
Ces violences numériques, sur la Toile ou sur les portables, souvent tues, font des ravages dans les lycées franciliens. Au point que l’Observatoire des violences faites aux femmes a commandé à l’institut Ipsos un des premiers sondages pour mesurer le cybersexisme, phénomène récent et encore mal connu en France. Et le centre Hubertine Auclert, dont dépend l’observatoire, anime ce mardi matin un colloque sur ce phénomène sociétal au conseil régional. L’étude, menée sur 500 jeunes de 15 à 20 ans, révèle qu’un quart de ces adolescents disent avoir été victimes de cybersexisme. Avec une nette nuance selon le sexe: 26% des filles et 21% des garçons interrogés ont déjà subi des humiliations et harcèlements en ligne. «La violence faite aux femmes évolue avec les outils de communication, souligne Jean-Paul Huchon, président de la région. Et ces attaques sur la Toile, parfois très violentes, peuvent engendrer de grandes souffrances morales.»
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«Le cyberharcèlement sexiste et sexuel résulte souvent d’une vengeance après une rupture amoureuse ou amicale», décrypte Catherine Blaya, enseignante et présidente de l'Observatoire international de la violence à l’école. Ces attaques sont très souvent basées sur l’apparence, on traite les filles de grosses et laides, on critique leur décolleté ou leur jupe trop courte…» Et ces agressions virtuelles sur les réseaux sociaux ne sont pas l’apanage des garçons. «Certaines "s’amusent" au lynchage médiatique de leur congénère, devenant ainsi l’instrument de la domination masculine.»
Pour libérer la parole des victimes et responsabiliser les agresseurs, la région, qui gère environ 500.000 lycéens, souhaite lancer des actions de sensibilisation. «Nous espérons mettre en place des interventions pédagogiques pour expliquer les risques dans les lycées, à l’image des actions organisées sur le sida, souligne Jean-Paul Huchon. Najat Vallaud-Belkacem, sensible à ces questions, souhaite que la région et son ministère de l’Education coopèrent pour aborder ce phénomène que l’on découvre.»
«L’anonymat renforce le sentiment d’impunité»
Car ces violences sont souvent minorées par les adolescents qui ne les voient que comme une plaisanterie. «La spécificité de ce cyberharcèlement est multiple, analyse Catherine Blaya. L’auteur n’est plus maître une fois que la publication est sur la Toile, les autres peuvent s’en emparer.» Les images, les rumeurs, les injures font alors le tour du lycée et sont accessibles à tous 24h sur 24… «Et l’anonymat réduit l’empathie et renforce le sentiment d’impunité. On appelle cette distance "l’effet cockpit" car les pilotes pendant la Seconde Guerre mondiale ne voyaient pas leurs victimes avant de bombarder», précise l’auteure de l’ouvrage Les ados dans le cyberespace, prises de risque et cyberviolence.
Le sondage révèle également que les ados soumis à ce cybersexisme sont désarmés: 76% des jeunes ne savent pas comment réagir. Et la pression du groupe interdit aux amis d’intervenir. «D’où l’importance d’informer sur le rôle des témoins, reprend Catherine Blaya. Et Marie* d’avouer son désarroi et sa solitude face à l’attaque dont elle a été victime: «Si ça arrivait à une amie je lui dirais tout de suite d’aller en parler à un adulte.»
*Le prénom a été changé