Alain Gaussel: «J’ai commencé à inventer des histoires pour mes neveux et nièces»

Interview Depuis 50 ans, le conteur arpente l’Ile-de-France et les cités de la banlieue parisienne pour raconter ses histoires aux enfants…

Propos recueillis par Paul Blondé
— 
Le conteur Alain Gaussel.
Le conteur Alain Gaussel. — Paul Blondé/20 Minutes
  • Pour Noël, «20 Minutes» est parti à la recherche des contes modernes. Et quoi de mieux qu’un conteur pour apprendre à raconter une histoire?
  • Alain Gaussel, 88 ans, parcourt l’Ile-de-France depuis 50 ans.
  • Il propose à «20 Minutes» un conte inédit: «Le Beau Cadeau».

Il était une fois un conteur qui, pendant des décennies, s’est installé au pied des tours des cités de la banlieue parisienne, d’Aulnay-sous-Bois à L’Ile-Saint-Denis, pour raconter des histoires aux enfants. Ce personnage haut en couleurs, c’est Alain Gaussel qui, à 88 ans, traverse toujours l’Ile-de-France pour faire rêver les petits de maternelles. « 20 Minutes » l’a rencontré à la sortie de l’école, dans le XIe arrondissement de Paris, et lui a demandé : « Alain, racontez-nous comment on fait pour être conteur ! ». Evidemment, Alain a raconté de bon cœur.

Comment cela s’est-il passé ce matin avec les enfants ?

Très bien. Ça se passe toujours bien. Les enfants aiment toujours autant les contes !

Vous leur racontez des histoires que vous empruntez à d’autres, mais aussi des histoires de votre invention ?

Oui, moitié-moitié environ. Et c’est exactement le même plaisir dans les deux cas.

Quand avez-vous commencé à raconter ?

Ça remonte au début des années 1970. Je suis un célibataire, mais j’ai des neveux et des nièces, et j’ai inventé beaucoup d’histoires pour eux à partir de cette époque. Comme beaucoup d’auteurs, qui inventent des histoires en pensant à une personne précise à qui ils la raconteraient : Lewis Carroll pour Alice au pays des merveilles par exemple, ou Cécile de Brunhoff pour Babar. Aujourd’hui, cinquante après, je raconte toujours les histoires que j’ai inventées pour eux, comme Les Trois Chats ou Les Quatre Loups, deux de mes préférées.

Comment inventez-vous vos histoires ?

Je ne sais pas. Je n’ai pas de plan, pas de processus créatif. A une époque, j’avais deux heures de marche à travers la forêt de Montmorency (Val-d’Oise) pour aller à mon travail, et j’inventais beaucoup d’histoires. Mais sinon, je pars toujours d’une inspiration et je commence à écrire sans connaître la suite. Un dimanche matin chez moi à L’Ile-Saint-Denis, j’ai vu passer trois chats. J’ai inventé une histoire avec un chat blanc, un chat noir et un chat gris. Le chat blanc voulait être noir, le noir voulait être blanc, et le gris était content d’être gris. A la fin, la morale, c’était qu’il était important de s’aimer tel que l’on est. A l’époque, je travaillais au Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (Mrap), ce qui m’a sans doute influencé. Les Quatre Loups, c’est une histoire qui m’est venue la nuit, dans la période entre le sommeil et les rêves. Au réveil, je l’ai écrite sur un carnet. Une autre histoire, Les Croissants, m’a été inspirée par un fait divers, l’histoire d’un boulanger dévalisé par une bande d’enfants à la sortie de l’école. Moi, j’ai fait du boulanger un ogre !

Vous partez donc de scènes de la vie quotidienne ?

Oui. Un jour, j’ai entendu une femme dans la rue dire la phrase : « Je n’ai pas de tête ». J’ai inventé une histoire sur une femme avec deux têtes !

Vous commencez donc plutôt par l’écrit que par l’oral ?

Pas toujours. Mais de toute façon, j’ai une écriture très simple, un style plus oral qu’écrit. Je suis très sensible à la parole, au rythme, à la musique de la langue.

Ensuite, est-ce que vous testez chaque histoire à l’oral ?

La première personne à qui je la raconte, c’est moi-même. Il faut qu’elle me plaise ! Certaines sont plus écrites qu’orales, et je ne les retiens pas. Ensuite, je les raconte, en étant attentif aux enfants. Après dix ou quinze fois, l’histoire se stabilise. Parfois, je la modifie en fonction des réactions des enfants. Si un mot n’est pas compris, je l’explique. Ça m’est arrivé avec le boulanger qui « pétrit » son pain. Ce n’est plus un mot que les enfants connaissent.

Et vous inventez encore des histoires ?

Plus vraiment. J’ai mon répertoire qui fonctionne. Et puis, je ne sais pas pourquoi, ça ne me vient plus beaucoup. A mon âge, je marche moins qu’avant…

>>> Lire ci-dessous Le Beau Cadeau, le conte d’Alain Gaussel.

Le Beau Cadeau

« Le vieil oncle possédait, pas très loin de Paris, une maison avec un grand jardin. C’est là que, pour les anniversaires, les fêtes de Pâque ou de Noël se tenaient les réunions familiales. Toute la famille s’y était rassemblée par un beau dimanche ensoleillé de printemps, et l’on avait déjeuné dans le jardin, au milieu des arbres fruitiers en fleurs.

A la fin du repas, on a bien sûr évoqué la réunion précédente qui s’était tenue à Noël, dans la grande salle, autour d’un feu de bois. Personne n’arrivait à bien se souvenir des cadeaux reçus ou donnés lors de ce dernier Noël, pourtant bien récent. On a continué à parler cadeaux, admiré le cousin qui avait l’art d’en trouver des à la fois originaux et particulièrement bien adaptés à celui auquel il les destinait. On a évoqué des gaffes, des erreurs, parlé de la petite fille qui se désintéressait totalement des cadeaux somptueux qu’on lui offrait, tout occupée qu’elle était à récupérer emballages et ficelles colorées de tous les cadeaux de la famille, qui lui servaient ensuite à faire de très belles choses.

On s’est souvenu du jour où le petit Alain, âgé de 6 ans, qui venait d’apprendre à lire, avait reçu comme cadeaux un livre de plus de 100 pages et non illustré (une vie de Mozart), de sa fierté d’avoir reçu un livre de grande personne et de son désir d’arriver à le lire en entier. Au même Noël, une vieille dame amie de la famille avait été un peu surprise qu’on lui offre une Vie et mœurs des pingouins. Tout s’était éclairé la semaine suivante : il y avait eu inversion des étiquettes. La vie de Mozart lui était en fait destinée, la Vie des pingouins était pour Alain. Mais pas question de corriger l’erreur. “J’en suis à la page 57 et j’irai jusqu’au bout”, disait Alain, tandis que la vieille dame déclarait : “Cette vie des pingouins, c’est délicieux, c’est admirable, je vais la lire et la relire.”

Et comme quelqu’un proposait qu’on évoque les plus beaux cadeaux reçus, le vieil oncle a dit : “Moi, le plus beau cadeau de Noël que j’ai reçu, il ne coûtait rien. C’était il y a quelques dizaines d’années, mais je n’ai pu en profiter que plusieurs années après l’avoir reçu. Ensuite, j’ai pu en profiter pendant des années et des années, et de plus en plus. Et aujourd’hui, nous en avons tous profité. Saurez-vous deviner ce que c’était ?”

Chacun a essayé de deviner, essayez, vous aussi ! Ce que c’était : un petit sac de noyaux de cerises, accompagné d’une lettre pour expliquer comment les planter. En ce beau dimanche de printemps, toute la famille avait profité de l’ombre des cerisiers, de délicieuses tartes aux cerises, d’une petite liqueur après le café, et chacun repartirait avec un pot de confiture de cerises, et, peut-être, qui sait, de quelques noyaux. »

Alain Gaussel