Coronavirus : Pourquoi les municipales n’ont-elles pas été reportées ?
ISOLOIRS•Ecoles fermées, rassemblements de plus de 100 personnes interdits… mais municipales maintenues, est-ce incohérent ?Rachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- L’annonce du maintien des élections municipales à la date prévue a rassuré dans la classe politique, malgré l’épidémie de coronavirus.
- Pourtant des questions se posent, alors que la situation pourrait encore s’aggraver la semaine prochaine.
- En réalité, un déplacement des élections si près du scrutin était difficilement envisageable, ne serait-ce que pour des questions légales.
«Si les gens n’ont pas peur d’aller faire les courses alors ils n’ont pas peur d’aller voter » : la punchline d’Edouard Philippe, le Premier ministre, au 13 heures de TF1 semble frappée au coin du bon sens. Pourtant les questions fusent après la décision d’Emmanuel Macron. Jeudi soir, le président de la République a annoncé le maintien des élections municipales. Le premier tour a lieu dimanche, le second sept jours plus tard, le 22 mars. A quelques heures à peine de l’ouverture des bureaux de vote dans les Outre-Mer (qui votent le samedi pour les collectivités situées à l’ouest de la France hexagonale), la décision aurait été inédite. Ce non-report n’allait pourtant pas de soi.
Dans un pays qui ferme ses écoles, interdiction les rassemblements de plus de 100 personnes et alors que l’Italie et le Royaume-Uni reportent les élections locales du printemps de plusieurs mois voire d’un an… n’y a-t-il pas une incohérence ? Non, pour la porte-parole du groupe La République en marche (LREM) à l’Assemblée nationale, Valérie Gomez-Bassac, contactée par 20 Minutes : « Les bureaux de votes sont des endroits où il y a des mouvements. Ce ne sont pas des salles de classe. » Elle note que les autres partis étaient plutôt d’accord pour maintenir le scrutin. Et c’est vrai que, au moins sur cette question-là, c’est plutôt un satisfecit qui a été délivré vendredi matin, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen.
Ça n’empêche pas les questions. « Le président n’avait le choix qu’entre de mauvaises solutions », juge auprès de 20 Minutes le politologue et directeur de recherche au CNRS et à Sciences po, Luc Rouban. « Reporter des élections c’est délicat. D’autant plus qu’il aurait au minimum fallu les reporter en septembre. Cela aurait été, à tort ou a raison, été interprété comme une manœuvre politique. » Il faut dire que les sondages sont peu voire très peu flatteurs pour les listes LREM en position de l’emporter dans aucune grande ville dans dix jours.
Difficile légalement de les reporter
Une partie de l’opposition semble effectivement avoir été sur cette ligne. Jeudi matin, les chefs et cheffes de partis, accompagnés le cas échéant de leurs présidents ou présidentes de groupes parlementaires, étaient invités à une réunion d’information par le Premier ministre. Un report des municipales n’y est pas évoqué. Pourtant, dès l’après-midi, le ton change dans les couloirs du pouvoir et plusieurs médias, dont Le Journal du dimanche et Le Figaro, annoncent que l’option du report est sur la table.
Chez Les Républicains, le sang de Bruno Retailleau, le président du groupe au Sénat, ne fait qu’un tour. « Si l’hypothèse d’un report des municipales se confirme, pourquoi le Premier ministre nous a-t-il dit l’inverse ce matin ? Pourquoi ne pas l’avoir anticipé plus tôt ? En tout état de cause, l’état d’urgence n’est pas approprié, il faudrait donc une loi. »
Et c’est vrai que, sauf à imaginer une activation de l’article 16 de la Constitution, qui offre les pleins pouvoirs au président de la République en cas de péril imminent, un report était en fait difficilement gérable légalement en si peu de temps. « Le président de la République peut bien prendre la décision mais le projet de loi doit être approuvé par le Sénat et l’Assemblée nationale, rappelle Luc Rouban. Or, les relations sont déjà compliquées avec le Sénat et son président, Gérard Larcher. Ça serait politiquement difficile de passer au-dessus en pleine fracture entre les élus locaux et le pouvoir central. »
Une abstention pire qu’en 2014 ?
Au-delà des questions légales se posent aussi des questions d’argent. Déplacer en septembre ça veut dire recommencer toute la campagne… « Ce sont des engagements financiers importants pour les candidats », rappelle la députée Valérie Gomez-Bassac. Et puis, il n’est pas tout à fait interdit de penser que du côté des Républicains, on pense aussi tactique : « Il faut être lucide, prévient Luc Rouban. Même en temps de crise, la politique continue. Les sondages montrent qu’il devrait y avoir une abstention différentielle entre les catégories. Et même en pleine épidémie, ce sont les plus âgés qui devraient le plus voter. Ce cas de figure peut avantager LR, peut-être un peu LREM aussi, au détriment du RN ou de la gauche. »
La porte-parole du groupe LREM à l’Assemblée nationale, Valérie Gomez-Bassac, ne veut voir dans la décision du président de la République qu’un choix guidé par la raison. « Les décisions sont prises en s’appuyant sur les scientifiques. S’il y a un moment pour faire confiance aux scientifiques, c’est celui-là. »
Tout cela dit le politologue estime que le maintient des municipales est une mauvaise idée. « On avait déjà eu un taux d’abstention historiquement haut pour ce type d’élection en 2014, à 36,5 %. Cela devrait être pire cette fois car face au danger beaucoup de personnes vont bouder les urnes. » Pour Luc Rouban, si la constitutionnalité de l’élection n’est pas en cause, une question de légitimité des nouveaux et nouvelles élues va quand même se poser. « Pensez aux législatives de 2017 avec des députés élus globalement avec plus de 50 % d’abstention. C’est compliqué de prendre des décisions avec une assise si faible. Les critiques viendront de toute part. »
« Un report du second tour ne passerait pas devant le Conseil constitutionnel »
La députée macroniste ne croit pas trop à une forte hausse de l’abstention. En tout cas pas dans les zones rurales : « Dans ma circonscription [dans le nord-Var], aucune réunion publique n’a été annulée. Sur le littoral, un peu plus », constate-elle. Cette attitude est vue comme, au mieux « légère » par la presse italienne alors que la tendance de contamination en France est la même que dans la Botte… avec quelques jours de retard. Et si la situation devenait intenable entre les deux tours ?
Notre dossier Municipales 2020
Alors là, on serait forcément dans l’inconstitutionnel. En tout cas dans l’inconnu. « Il n’y aura pas de second tour partout, or les élections doivent être équitables. Un report du second tour ne passerait pas devant le Conseil constitutionnel. On aurait des communes avec des maires élus mais pas dans d’autres pendant des mois… Il n’est pas réaliste de voir les préfets prendre en charge les communes sans élus pendant tout ce temps. Le problème c’est que si la crise s’aggrave, il y aura encore moins de monde dans les bureaux de vote au second tour… »