Otan : Adhésion de la Suède, de l’Ukraine… Les enjeux capitaux du sommet de Vilnius
alliance•La Lituanie accueille mardi et mercredi les dirigeants des pays membres de l’Otan pour un sommet qui sera très scrutéCécile De Sèze
L'essentiel
- Les 11 et 12 juillet 2023, les dirigeants des 31 pays membres de l’Otan se retrouvent à Vilnius.
- L’adhésion de la Suède, de l’Ukraine ou les dépenses militaires seront au centre des discussions alors que la guerre menée par la Russie met l’Alliance sous pression.
- Pourquoi l’adhésion de la Suède a-t-elle pris autant de temps ? Que peut espérer Kiev de ce sommet ? Pourquoi renforcer ses positions ? Nicolas Tenzer, spécialiste des questions stratégiques et internationales et enseignant à Sciences po, répond à 20 Minutes.
Tous les Ukrainiens et les Suédois auront les yeux rivés sur Vilnius ces deux prochains jours. La capitale lituanienne accueille mardi et mercredi les dirigeants des pays membres de l’Otan pour un sommet aux enjeux capitaux. En pleine agression de la Russie en Ukraine, la menace sur l’Europe, et plus largement sur l’Occident, est plus réelle que jamais. Le sommet sera donc dominé par la réponse de l’Alliance à la guerre menée par Moscou et aux demandes d’adhésion de Kiev et Stockholm.
Pourquoi l’adhésion de la Suède est-elle si délicate ?
Après plus d’un an de blocage, la Turquie a fini par céder. Alors que la Suède a fait sa demande d’adhésion en même temps que la Finlande, elle ne pourra, contrairement à sa voisine, intégrer l’Otan que dans les prochaines semaines. En cause : un blocage de la Turquie. Pourquoi aura-t-il fallu autant de temps ? « Il y a une sorte de vieux contentieux entre Ankara et Stockholm, lié au fait que la Suède héberge des réfugiés kurdes que la Turquie considère comme une menace pour sa sécurité », explique à 20 Minutes Nicolas Tenzer, spécialiste des questions stratégiques et internationales et enseignant à Sciences po.
Le président turc avait déjà mis la pression sur la Suède à la suite d’un rassemblement islamophobe autorisé à Stockholm pendant lequel un Coran a été brûlé. « Ceux qui commettent ce crime ainsi que ceux qui le permettent sous couvert de liberté d’opinion, ceux qui tolèrent cet acte ignoble ne pourront pas réaliser leurs ambitions », avait-il menacé fin mai. Recep Tayyip Erdogan faisait du chantage en amont du sommet, conditionnant sa signature pour l’adhésion de la Suède à son entrée dans l’Union européenne. « Ouvrez d’abord la voie à l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne et, ensuite, nous ouvrirons la voie à la Suède, tout comme nous avons ouvert la voie à la Finlande », a-t-il déclaré lundi. L’argument du chef d’Etat turc n’est pas incompréhensible même s’il paraît « complètement inconsidéré », note Nicolas Tenzer. « Cette promesse d’intégration à l’Union européenne a été faite à la Turquie depuis des années, elle a même le statut de candidat depuis longtemps, et elle se sent dupée », développe-t-il.
Le chef d’Etat turc semble avoir changé d’avis lundi soir, en donnant son accord pour soutenir l’adhésion de la Suède à l’Otan. Mais, la Turquie n’était pas le seul pays qui bloque l’entrée de Stockholm dans l’Alliance. La Hongrie rechigne aussi, mais pour des raisons différentes. « C’est le cheval de Troie de Moscou », illustre Nicolas Tenzer. Si elle peut mettre le désordre en Europe, elle le fait. « Elle en avait l’opportunité ici car la Turquie a commencé à dire non, c’est pour elle l’occasion de montrer qu’elle joue un jeu différent », analyse encore le spécialiste.
Que peut espérer l’Ukraine ?
« C’est le premier sujet dont on parle en Ukraine », assure Nicolas Tenzer. Kiev réclame aussi son adhésion, mais à la différence de la Suède, elle a moins de chances de se voir membre de l’Otan au court terme. La Hongrie n’aura même pas besoin de mettre son veto, les Etats-Unis, première puissance de l’Alliance, sont contre. « Je ne pense pas [que l’Ukraine] soit prête à faire partie de l’Otan », a ainsi affirmé Joe Biden lors d’un entretien sur CNN dimanche. L’Allemagne est aussi contre l’idée, toujours dans la hantise d’une escalade avec la Russie et la croyance qu’il s’agirait d’une provocation inutile. « Ils sont dans l’idée qu’il y a une sorte de ligne rouge, ce qui est de la folie », tacle Nicolas Tenzer.
De plus, si l’Ukraine intégrait l’Otan immédiatement, le déclenchement de l’article 5 entraînerait les 31 pays membres directement dans le conflit avec la Russie. C’est pourquoi une jurisprudence constante de l’Otan prévoit de ne pas admettre un pays en guerre. Au mieux, « l’Ukraine aura une promesse formelle d’adhésion dès que la guerre sera terminée, une adhésion qui sera alors automatique », estime le spécialiste. Afin de donner des gages à Kiev, plusieurs poids lourds de l’Alliance négocient alors de possibles engagements de fournitures d’armes sur le long terme pour aider l’Ukraine à se défendre. Selon des sources diplomatiques, ces engagements seraient formulés en dehors du cadre de l’Otan.
Une adhésion de l’Ukraine rendrait pourtant l’Alliance transatlantique plus forte. C’est, de fait, le pays qui a aujourd’hui « la première armée combattante au monde en matière de capacités opérationnelles, de combats de haute intensité », souligne Nicolas Tenzer. Ce serait, de plus, « un signal clair envoyé à la Russie », ajoute-t-il.
Pourquoi un effort dans les dépenses militaires est-il indispensable ?
L’Alliance transatlantique est déjà l’alliance la plus forte au monde. S’il y a certains accords bilatéraux entre tel ou tel pays, il n’existe aucun équivalent sur la planète, en matière de troupes, de garantie nucléaire, ou encore d’équivalent de l’article 5. Mais l’Otan a besoin de se moderniser et de renforcer ses armées. Après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, les pays membres de l’Otan s’étaient engagés à tendre vers l’objectif de consacrer 2 % de leur PIB aux dépenses militaires d’ici 2024. La poursuite de l’invasion de l’Ukraine en 2022 renforce cette prise de conscience qu’il va falloir durcir ses positions.
Notre dossier sur la guerre en Ukraine« La dissuasion nucléaire ne suffit plus, il faut aussi des forces conventionnelles, des capacités de défense, une modernisation, notamment en ce qui concerne les drones, il faut se mettre à niveau », liste ainsi Nicolas Tenzer. D’autant qu’à l’aube d’une nouvelle élection américaine, dont l’issue est très incertaine, il faut que l’Otan soit capable d’agir, de se défendre et de soutenir l’Ukraine sans compter sur les Etats-Unis.
Enfin, l’invasion russe a poussé l’Otan à revoir en profondeur ses dispositifs de défense sur son front oriental. Les dirigeants ont élaboré des plans régionaux adaptés au nouveau contexte géostratégique, qui détaillent les principales menaces, l’articulation des moyens nécessaires pour défendre chaque région et les modes d’action. Selon des diplomates, la Turquie a émis des objections mais devrait finir par donner son feu vert lors du sommet.
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