ChuteLa chute de Bakhmout aux mains des Russes semble inévitable

Guerre en Ukraine : Combats intenses, ville symbolique… Bakhmout sur le point de tomber

ChuteLes Russes visent à encercler la ville du Donbass et pourraient enregistrer l’une de leur première victoire notable depuis des mois en Ukraine
Cécile De Sèze

C.d.S avec AFP

L'essentiel

  • Les combats sont de plus en plus intenses entre les forces russes et ukrainiennes à Bakhmout. La situation est « de plus en plus compliquée » pour l’armée de Kiev, de l’aveu même de Volodymyr Zelensky.
  • La prise de la ville permettrait à Moscou d’enfin annoncer une victoire significative, bien que peu stratégique sur le terrain, après des mois d’efforts.
  • 20 Minutes fait le point sur la bataille de Bakhmout, qui coûte cher en matériel et en hommes des deux côtés, mais qui pourrait permettre à l’armée ukrainienne de préparer une nouvelle contre-offensive.

Que restera-t-il de Bakhmout ? Sous le feu de combats acharnés entre forces ukrainiennes et russes depuis cet été, la ville, située dans la région de Donetsk, dans le Donbass, semble sur le point de tomber aux mains des Russes. Une victoire symbolique, mais peu stratégique, qui pourra permettre à Moscou de se targuer d’avancer la ligne de front de quelques mètres supplémentaires. Mais le coût militaire et humain de ces victoires minimes est énorme. Etat des lieux.

Où en sont les combats ?

L’étau se resserre sur l’armée ukrainienne qui défend la ville de Bakhmout depuis l’été. Après des mois d’efforts et de renforts envoyés à tout bout de champ de bataille par les Russes, soutenus dans la région par le groupe de mercenaires Wagner, la chute de la ville semble de plus en plus inévitable. Dans la soirée de mardi, Volodymyr Zelensky, a lui-même concédé que « les plus grandes difficultés, comme auparavant, sont à Bakhmout (…) La Russie ne compte pas du tout ses hommes, les envoyant constamment à l’assaut de nos positions. L’intensité des combats ne fait qu’augmenter ». Dès lundi soir, le président ukrainien avait reconnu que la situation aux alentours de Bakhmout devenait « de plus en plus compliquée » pour les soldats ukrainiens.

« La situation aux alentours de Bakhmout est extrêmement tendue », avait constaté plus tôt dans la journée le commandant des forces terrestres ukrainiennes, Oleksandre Syrsky, cité par le centre de presse officiel de l’armée. Selon lui, le groupe paramilitaire russe Wagner, en première ligne dans cette bataille, tente de « percer la défense de nos troupes et d’encercler la ville ». Ces dernières semaines, les forces russes ont revendiqué des gains autour de Bakhmout, notamment au nord, accentuant leurs efforts d’encerclement de la ville où les deux camps ont essuyé de lourdes pertes depuis l’été. En face, la stratégie des Ukrainiens est d’éviter d’être « enfermés » dans la ville, explique à France Info le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française à l’ONU et spécialiste des relations internationales.

Quel est le moral des troupes côté ukrainien ?

Le moral des troupes pâtit forcément de cette guerre d’attrition qui vise à « user les Ukrainiens de façon qu’ils n’aient plus l’initiative », expliquait à 20 Minutes Olivier Kempf, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), en février. Ainsi, un soldat interrogé par l’AFP, du nom de « Fox », ne croit pas en la victoire. Selon lui, les défenseurs de Bakhmout n’ont pas assez d’hommes ni de munitions et se sentent découragés. « Tout le monde est à cran », constate-t-il. « Manque de sommeil, froid, pluie, la météo qui change tout le temps, bombardements permanents, assauts constants de l’infanterie… », énumère ce soldat en treillis. Et s’il est difficile de faire des prédictions, il devient de plus en plus difficile de résister aux assauts des Russes et à leurs tirs d’artillerie, estime le soldat. « Je pense que Bakhmout va probablement tomber », lâche-t-il.

Pourtant, certains tiennent un discours bien plus optimiste. D’autres militaires ukrainiens interrogés par l’AFP ont affirmé lundi garder le moral. « Nous ne pouvons pas connaître toute la situation opérationnelle mais nous sommes ici, nous ne nous sommes pas enfuis », soutient un soldat de 44 ans dont le nom de guerre est « Kaï ». « Si nous nous sentons abattus, si nous sommes apathiques, nous ne vaincrons pas. Mais nous sommes de bonne humeur », lance-t-il dans un large sourire. « Non seulement Bakhmout mais la Crimée et tout le reste : nous allons tout récupérer », encourage « Died », 45 ans.

Pourquoi cette ville est-elle un objectif pour les Russes ?

Malgré une importance stratégique contestée par les experts, Bakhmout est devenue un symbole de la lutte pour le contrôle de la région industrielle du Donbass. Volodymyr Zelensky, qui s’était rendu sur place en décembre, avait juré de défendre cette ville-forteresse « aussi longtemps que possible ». Par ailleurs, alors que Kiev a mené des contre-offensives efficaces, notamment cet automne à Kherson, Moscou peine à afficher des avancées sur le terrain. Outre les petites percées de cet hiver, les derniers succès russes en Ukraine remontent, en effet, au début de l’été.

Une victoire dans une ville telle que Bakhmout marquerait alors une avancée symbolique, plus marquante que les victoires sur Blagodatné, Vougledar ou même Soledar. « Le commandement russe veut contrôler toute la région de Donetsk, et Bakhmout est la principale porte d’entrée vers Sloviansk et Kramatorsk », deux villes importantes du Donbass, expliquait en décembre à l’AFP Michael Kofman, directeur des études sur la Russie au CNA, un institut de recherche américain. « Les Russes poursuivent leur offensive pour détourner l’attention dans les médias des revers de cet automne », estimait également Mykola Bielieskov, chercheur à l’Institut national pour les études stratégiques de Kiev, interrogé par l’AFP.

Comment Kiev pourrait finalement profiter de cet acharnement sur Bakhmout ?

Même si la chute de Bakhmout signifiait un recul de la ligne de front et une défaite pour les forces ukrainiennes, la bataille pourrait tout de même profiter à Kiev. Les forces mobilisées par l’armée russe et ses soutiens privés souffrent beaucoup des pertes dans les combats. Selon le général Dominique Trinquand, les Russes perdraient « 200 à 300 soldats par jour ». « Les Ukrainiens ont maintenu les positions pour pouvoir justement réduire, user, les capacités russes », analyse-t-il. D’ailleurs, les forces ukrainiennes ont préparé leurs positions « un peu plus en arrière » de la ville « avec des positions défensives extrêmement solides », ajoute-t-il. Car cette guerre d’attrition use les forces des deux côtés.


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Cet affaiblissement de l’armée russe est une aubaine pour contre-attaquer ailleurs en Ukraine. « C’est un abcès de fixation », explique encore Dominique Trinquand. « Les Russes accumulent leurs forces » autour de Bakhmout, ainsi « elles ne vont pas ailleurs », développe-t-il. Kiev peut ainsi travailler « dur » à une contre-offensive, confirme le ministre de la Défense, Oleksiï Reznikov. « Nous frapperons plus fort et à de plus grandes distances, dans les airs, sur terre, en mer et dans le cyberespace. Il y aura notre contre-offensive. Nous travaillons dur pour la préparer », a-t-il affirmé sur Facebook. Cette contre-attaque devrait, de plus, être soutenue par les livraisons, entre autres, de chars lourds promis par les Occidentaux. Américains et Européens multiplient les livraisons de munitions de plus longue portée pour aider Kiev à surmonter son déficit d’hommes et d’équipement avec des armes plus précises que celles des Russes.

Que reste-t-il de la ville ?

La prise de la ville n’apportera pas grand-chose à la Russie. Bakhmout, qui comptait 70.000 habitants avant la guerre, a été en grande partie détruite par les combats. Quelque 4.000 civils y demeurent malgré le danger, se réfugiant dans des sous-sols et des abris, selon Stéphane Dujarric, porte-parole du Secrétaire général de l’ONU.