géopolitiqueDans la Syrie en guerre, le laborieux acheminement humanitaire

Séismes en Syrie : Dans un pays en guerre, le laborieux acheminement humanitaire

géopolitiqueEnvoyer de l'aide sans passer par le régime de Bachar al-Assad complique la tâche des Occidentaux, surtout quand Damas profite de la catastrophe pour tenter de se réhabiliter aux yeux de la communauté internationale
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Les séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie ont fait plus de 33.179 morts, selon un bilan provisoire.
  • Mais l'aide internationale tarde à arriver, notamment en Syrie, où les questions géopolitiques viennent compliquer la question de l'acheminement humanitaire.
  • D'autant que le régime de Bachar al-Assad tente de saisir l'occasion pour réclamer la fin des sanctions occidentales contre Damas, préviennent trois experts de la question interrogés par 20 Minutes.

Déjà meurtri par plus de onze années de guerre - toujours en cours - , le peuple syrien pleure encore ses morts. Les séismes destructeurs qui ont mis en ruines une large partie du Sud de la Turquie et le nord de la Syrie ont engendré des dégats humains redoutables. Le bilan, qui ne cesse d’évoluer, dépassait les 29.605 morts entre les deux pays dimanche après-mdi, dont 3.574 habitants de la Syrie. Et, selon l'Onu, le bilan pourrait doubler. D’où le besoin urgent d’une aide humanitaire internationale.

Mais la question est plus complexe que pour la Turquie, où la structure étatique est reconnue et qui n'est pas en guerre contre son propre peuple. Les relations diplomatiques avec Bachar al-Assad et son régime sont en effet coupées avec les puissances occidentales. Par ailleurs, parmi les régions touchées par le tremblement de terre, certaines sont des zones rebelles, où se trouvent des opposants au régime. Comment envoyer de l’aide sans passer par Damas ? C’est le problème qui se pose aux Occidentaux.

Le risque de détournement de l’aide humanitaire

La seule entrée possible dans les zones sinistrées en Syrie est le point de passage de Bab al-Hawa, à la frontière avec la Turquie. Il s'agit de l’unique manière de faire parvenir de l’aide humanitaire sans passer par les régions sous contrôle du régime, car « le territoire est fragmenté », note auprès de 20 Minutes Ziad Majed, politologue, chercheur et professeur agrégé spécialiste du Moyen-Orient. Ce qui explique en partie « le rythme très lent des livraisons d'aide », ajoute-t-il. Le premier convoi acheminé depuis la catatrophe, arrivé en zone syrienne ce jeudi, est d’ailleurs passé par le poste-frontière de Bab al-Hawa, qui ouvre sur l’enclave rebelle d’Idlib. Car si l’aide internationale transite par la Syrie de Bachar al-Assad, « le risque est de la voir détourner par Damas », prévient Nicolas Tenzer, spécialiste des questions stratégiques et internationales et enseignant à Sciences po, contacté par 20 Minutes.



Plusieurs rapports prouvent le détournement des fonds destinés à la reconstruction du pays, comme celui de Human Rights Watch publié en juin 2019. Et ce, même si l’ambassadeur syrien aux Nations unies, Bassam Sabbagh, a annoncé que son pays était prêt à « travailler avec ceux qui veulent aider les Syriens ». Tout comme le chef de la diplomatie syrienne, Fayçal Moqdad, qui a affirmé que le régime était prêt à « faciliter » l’arrivée de l’aide internationale. « Il faut partir du principe qu’on ne peut pas avoir confiance en Bachar al-Assad », rappelle Marie Peltier, historienne spécialiste de la propagande en Syrie, contactée par 20 Minutes.

En passant par les ONG affiliées aux Nations unies, par les ONG présentes à Damas, comme le Croissant-Rouge Syrien - qui va recevoir un soutien de la France à hauteur de 500.000 euros - il y a aussi un risque. Car ces organisations sont directement ou indirectement obligées de collaborer avec le régime. Et « Damas n’a aucune considération humanitaire pour l’opposition », martèle Marie Peltier. « Les zones de l’opposition ont tout de même de l’aide, qui vient d’organisations loin du régime, on parle par exemple des casques blancs », développe-t-elle. « Le régime n’est donc pas le seul à pouvoir amener cette aide », insiste l’historienne.

Damas, un régime criminel en guerre contre son peuple

Passer par les zones sous contrôle de Damas pour faire parvenir l’aide mène à un autre écueil : « donner au régime un blanc-seing lui permettant de remettre un pied dans les zones rebelles », alerte là encore Nicolas Tenzer. La zone d’Idlib touchée par le tremblement de terre est une zone rebelle régulièrement visée par des frappes du régime et de Moscou, grand allié de la Syrie. La dernière, le 6 novembre, avait fait au moins neuf morts, dont trois enfants.

L’armée syrienne pourrait profiter de l’occasion pour mettre la main sur des opposants. « Certains Etats se demandent donc quel est le moyen le plus utile pour envoyer de l'aide sans permettre à Damas de l'utiliser pour sa politique », analyse Ziad Majed. « Bachar al-Assad veut le monopole de l'organisation de cette aide pour l'utiliser en récompensant les habitants loyaux, et punir ce qui ne le sont pas », appuie-t-il. Sans compter qu'aucune Nation ne veut rouvrir de relations diplomatiques avec un pays coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. « Comment éviter cette quasi reconnaissance de ce narco-Etat criminel, mafieux, et en même temps acheminer l’aide des secours ? C’est un dilemme difficile à résoudre », convient Nicolas Tenzer. « Si on passe par les structures du régime, on se met au service de la répression en cours, on oublie trop souvent que la guerre n’est pas terminée », abonde Marie Peltier.

Le petit chantage de Bachar

Pourtant, certains soutiens du régime semblent voir dans cette catastrophe naturelle, humaine et humanitaire une « opportunité en or » pour tenter de réhabiliter le régime. En demandant la levée des sanctions contre Damas, Bachar al-Assad et ses soutiens éparpillés en Europe, et jusqu’en France, saisissent l’occasion pour relancer une petite musique qui revient depuis les séismes. Dès le lendemain de la catastrophe, alors que les secouristes poursuivaient leurs efforts pour sortir les survivants des décombres, le Croissant-Rouge syrien a ainsi appelé « tous les pays de l'UE à lever les sanctions économiques contre la Syrie». L'idée est de faire valoir que les sanctions empêchent la reconstruction du pays et donc aujourd'hui les efforts humanitaires.

« Les sanctions ne concernent pas l'aide humanitaire, le matériel médical et l'alimentaire », s'agace Ziad Majed. Les régions sous contrôle gouvernemental reçoivent une aide internationale via des agences onusiennes, souvent basées à Damas. D'autant que le dictateur en place, en bientôt douze ans de guerre contre l'opposition syrienne, est responsable de bien plus de décès que n'importe quelle catastrophe naturelle. On parle de centaines de milliers de morts et de la pire crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale. « C'est une offensive informationnelle des réseaux proches de Damas, mais ça n'a aucun sens d'aider Bachar al-Assad à reconstruire alors que c'est lui qui a tout démoli », reprend Marie Peltier. Une phrase qui peut être résumée en une image. Il s'agit de la région d'Alep. Malgré les apparences, elle ne date pas du tremblement de terre, mais d'un bombardement du régime sur le quartier de Salaheddine.


Des habitants traversent les destructions causées par la guerre dans le quartier de Salaheddine, autrefois tenu par les rebelles, dans l'est d'Alep, en Syrie, vendredi 20 janvier 2017.
Des habitants traversent les destructions causées par la guerre dans le quartier de Salaheddine, autrefois tenu par les rebelles, dans l'est d'Alep, en Syrie, vendredi 20 janvier 2017. - Hassan Ammar/AP/SIPA

« En termes de crimes contre l'humanité, Assad bat tous les records depuis 2011 », renchérit Nicolas Tenzer. Cette réhabilitation est donc inimaginable aujourd'hui. Encore plus « à la lumière des crimes de Vladimir Poutine » dans le contexte de la guerre en Ukraine, souligne-t-il enfin.