Massacre à la Ghouta: «Le régime de Bachar continuera de bombarder les civils sans se soucier des condamnations internationales»
INTERVIEW•En quatre jours, plus de 270 civils ont été tués dans des raids aériens menés par le régime de Bachar al-Assad à la Ghouta, dernier bastion rebelle aux portes de Damas...Propos recueillis par Anissa Boumediene
L'essentiel
- Depuis le lancement dimanche de la nouvelle campagne de bombardements de la Ghouta par le régime syrien, plus de 270 ont trouvé la mort dans la région.
- Des centaines de personnes ont été blessées, mais les bombardements de plusieurs hôpitaux de la région, pris pour cible par le régime, empêchent de nombreux civils d'accéder aux soins.
- Si la communauté internationale condamne une fois de plus ces derniers bombardements, elle reste impuissante face au dossier syrien.
Le massacre se poursuit. Pour la quatrième journée consécutive, les avions du régime ont largué bombes et barils d’explosifs sur le fief rebelle de la Ghouta orientale près de Damas, malgré les protestations internationales pour stopper le bain de sang. Depuis le début dimanche d’une nouvelle campagne aérienne contre cette enclave où sont assiégés quelque 400.000 habitants, plus de 270 civils, dont près de 67 enfants, ont été tués et des centaines blessés, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
Plusieurs hôpitaux ont été mis hors service et les destructions sont énormes dans cette vaste région asphyxiée depuis 2013 par un siège du régime et en proie à une crise humanitaire aiguë, avec des cas de malnutrition et de personnes affamées. Après une nuit durant laquelle une centaine d’obus ont été tirés sur la région, de nouvelles frappes ont coûté la vie ce mercredi à dix civils dont trois enfants et fait plus de 200 blessés, a précisé l’OSDH qui s’appuie sur un vaste réseau de sources dans le pays en guerre.
Outre leurs bombes, les avions ont largué des barils d’explosifs sur les localités d’Arbine et de Aïn Tourma, une arme qui tue de manière aveugle et dont l’utilisation est dénoncée par l’ONU et des ONG internationales, a poursuivi l’OSDH. Dans les hôpitaux non touchés par les frappes, les lits manquent et les blessés sont soignés à même le sol tandis que les salles d’opération tournent à plein régime.
Thomas Pierret, chargé de recherche au CNRS et spécialiste de la Syrie revient pour 20 Minutes sur la situation de la Ghouta.
Plus de 270 morts depuis dimanche, des centaines de blessés, des hôpitaux bombardés : on est loin de la « zone de désescalade » pourtant décrétée pour la Ghouta orientale en août dernier non ?
Il n’y a pas de « désescalade » dans la région. Il n’y a quasiment pas de nourriture, ni de médicaments, ni de lieux sûrs où s’abriter à la Ghouta. Plusieurs hôpitaux y ont été bombardés ces quatre derniers jours et les convois humanitaires ne peuvent rejoindre la région. Si la stratégie de siège adoptée depuis longtemps par le régime de Bachar est intenable pour la population civile, le régime syrien, appuyé par ses soutiens russe et iranien, ne compte pas en démordre : c’est son moyen de faire pression sur les rebelles pour les pousser à signer un accord. Ça durera tant que les rebelles ne déposeront pas les armes, mais pour l’heure, cela ne semble pas être une voie qu’ils envisagent de suivre.
Dans le cadre de cette dernière série de raids aériens contre la Ghouta, le régime a renforcé ses positions autour de cette région en prévision d’un assaut terrestre. Faut-il s’attendre à une action au sol ?
L’assaut terrestre est une possibilité, mais on sait que ce n’est absolument pas l’option favorite du régime. Aujourd’hui encore, les combattants rebelles de la Ghouta sont assez redoutables, et ce malgré leur infériorité numérique et militaire. Il y a quelques semaines encore, ils infligeaient d’ailleurs un revers aux forces armées du régime.
La solution privilégiée par le régime aujourd’hui reste la poursuite des bombardements aériens sur les civils, avec le soutien logistique et militaire des alliés russe et iranien, qui ont investi des moyens colossaux dans le maintien du régime au pouvoir. Le régime de Bachar al-Assad veut à tout prix reprendre cette enclave de la Ghouta orientale. C’est un enjeu stratégique : la Ghouta est le dernier bastion contrôlé par les rebelles aux portes de Damas.
Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a déclaré ce mardi redouter un « cataclysme humanitaire », mais la communauté internationale semble à chaque fois ne pas pouvoir aller plus loin que la condamnation symbolique des massacres…
Oui, les pays occidentaux déplorent la situation sans pour autant bouger un sourcil. Pendant ce temps-là, chaque jour, les civils continuent à être pris pour cible. L’immobilisme de la communauté internationale dure aujourd’hui depuis sept ans, depuis le début du conflit justifié au nom de la lutte contre Daesh. Le régime de Bachar al-Assad bombardera les civils jusqu’à ce que les rebelles déposent les armes, sans se soucier une seconde des pâles condamnations de la communauté internationale.
Tout le monde attend secrètement la signature d’un accord d’évacuation qui mettrait fin au carnage. Et si vous analysez les communiqués des chancelleries occidentales, le discours est extrêmement faible, on « demande au régime syrien de cesser les combats et les bombardements de civils ». On multiplie les réunions du Conseil de sécurité de l’ONU, mais au-delà du symbolique, il n’y a aucun acte. L’ONU est complètement impuissante sur le dossier syrien.