Scrutin de trois jours, « urnes volantes »… La présidentielle en Russie « ne peut pas être honnête »
Bourrage d’urnes•En plus d’une concurrence triée sur le volet, le Kremlin garde dans sa manche une multitude de méthodes de fraude électorale
Diane Regny
L'essentiel
- L’issue de l’élection présidentielle russe ne fait aucun doute : Vladimir Poutine, au pouvoir depuis près d’un quart de siècle, va l’emporter très largement dimanche.
- Le chef de l’Etat russe a progressivement écarté toute opposition politique, mais aussi toute voix dissonante dans les médias ou dans la société civile.
- De plus, pour s’assurer un raz-de-marée de voix en sa faveur, le Kremlin garde aussi dans sa manche une multitude de méthodes de fraude électorale.
«Notre élection présidentielle n’est pas vraiment une démocratie, c’est une bureaucratie coûteuse », lâchait Dmitri Peskov, en août 2023, prédisant une victoire écrasante de Vladimir Poutine, candidat à sa réélection, à 90 %. En trichant ? Cité par le New York Times, le porte-parole du Kremlin a rapidement assuré que ses propos avaient été « déformés » par les journalistes américains. Pourtant, le plébiscite du régime poutinien prophétisé depuis des mois, si ce n’est des années, semble inéluctable.
Vladimir Poutine, figure centrale du pouvoir depuis presque un quart de siècle, se représente à la tête de la Russie, face à trois autres candidats, contre huit en 2018. « Ces candidats sont appelés les candidats "spoilers" par les Russes. Ils sont présents pour faire figure de diversité électorale mais ont tous des positions qui vont dans le sens de la politique présidentielle », analyse Gaël Guichard, spécialiste de l’espace post-soviétique.
A coups d’emprisonnements, d’exils et d’assassinats, la pluralité politique s’est progressivement évanouie en Russie. Alexeï Navalny, farouche opposant à Vladimir Poutine, est d’ailleurs mort il y a un mois dans une colonie pénitentiaire de l’Arctique. Et le Kremlin garde aussi dans sa manche une multitude de méthodes de fraude électorale, pour assurer un raz-de-marée de voix au parti du président, Russie unie.
Les « sultanats » électoraux de Russie
« Lors de la première élection de Poutine [en 2000], lorsqu’il avait obtenu 52 % au premier tour, il y avait des associations d’observateurs indépendants, se souvient Galia Ackerman qui a elle-même participé à l’époque à une formation pour observer les élections. Mais c’est fini tout ça. » Dès « 2018, les conditions de vote n’étaient pas libres. Les fraudes étaient déjà massives », ajoute la directrice de la rédaction du média en ligne Desk Russie.
Bourrage d’urnes, « sultanat électoral », vote multiple… « Depuis très longtemps, on observe des malversations électorales en Russie », glisse Galia Ackerman. De nombreuses régions, où les scores du pouvoir flirtent avec les sommets, sont accusées d’être des « sultanats » électoraux, à l’instar de la République du Tatarstan.
Lors des législatives de 2016, Russie unie – le parti de Vladimir Poutine – atteignait entre 70 et 80 % des voix dans les bureaux sans observateurs contre 45 à 55 % dans ceux, à deux pas, où des observateurs indépendants scrutaient la bonne tenue du vote, rappelle La Croix. Lors des élections législatives de 2021, Russie unie aurait bénéficié de 14 millions de votes falsifiés, soit la moitié des bulletins en sa faveur, accusait ainsi The Moscow Times en septembre 2021.
Cachez ce scrutin que je ne saurais voir
A présent, l’objectif du pouvoir « dépasse la réélection de Vladimir Poutine », le Kremlin cherchant à afficher un « tsunami » de votes en faveur du chef de l’Etat et de sa politique, note Gaël Guichard. Alors, pour parvenir aux sommets des urnes, tous les moyens sont envisageables, en commençant par le verrouillage du scrutin. « Les conditions de vote ne sont plus transparentes », rappelle Galia Ackerman.
« L’OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe] était présente jusqu’en 2018 sur le terrain. Ses observateurs avaient la possibilité de rencontrer les acteurs des élections, les commissions électorales, les médias, les candidats, les électeurs… Ce n’est plus le cas depuis la dernière présidentielle », explique Gaël Guichard. Avant d’ajouter : « Si le pouvoir n’invite plus d’observateurs internationaux, c’est pour lui permettre de faire ce qu’il veut ».
En parallèle, Moscou bâillonne de plus en plus la presse et la société civile. Ainsi, Golos, une ONG russe indépendante qui observe les élections, a été classée comme « agent de l’étranger » en 2021. Son coprésident, Grigori Melkoniants, a été arrêté et placé en détention provisoire en août 2023. « Le pouvoir russe a travaillé pour qu’il y ait le moins de visibilité possible sur cette élection présidentielle », constate Gaël Guichard.
Trois jours et trois nuits pour tricher
Et derrière les rideaux opaques, les méthodes pour falsifier le scrutin sont nombreuses. « Le fait que le scrutin dure trois jours est une première et pose énormément de questions en termes de sécurisation des urnes, des bureaux de vote et des bulletins de vote », prévient Gaël Guichard. Difficile, en effet, de surveiller et de protéger tous les lieux de vote pendant trois jours et trois nuits, sur les onze fuseaux horaires que compte le pays. « Il y a des possibilités infinies de fraudes, plus élargies par rapport aux élections précédentes », abonde en ce sens Galia Ackerman.
Certaines pratiques multiplient les risques de fraudes électorales, à l’instar des « urnes volantes ». Ces urnes sont déplacées chez les personnes pour qui il est difficile de se déplacer. « Je découvre ce matin qu’il nous est désormais interdit de suivre les urnes volantes », regrette le journaliste indépendant Paul Gogo, depuis la Russie sur X, précisant « celle-ci part avec une représentante du bureau de vote, une militante de Vladimir Poutine et un policier », photographie à l’appui.
Le vote électronique est aussi mis en place « dans 29 régions », rappelle Gaël Guichard qui ajoute que « tout est possible avec ce système », comme le « double vote », celui en physique et celui en ligne. Toutefois, « toutes ces techniques ont le même objectif », fait remarquer Galia Ackerman qui tranche ainsi : « dans un régime quasi totalitaire, l’élection ne peut pas être honnête. »
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