Ombre et lumièreL’ambassadeur, c’est un peu le « capitaine du navire »

L’ambassadeur, c’est un peu le « capitaine du navire » et celui qui « doit construire des ponts »

Ombre et lumièreL’ancien ambassadeur de France en Ukraine et l’ambassadrice de France au Soudan ont accepté de livrer leur perception des crises qu’ils ont vécues, comme celle que vit actuellement leur collègue au Niger
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • De la guerre en Ukraine au coup d’Etat au Niger, en passant par la guerre au Soudan, l’ambassadeur a un rôle clé lorsqu’un pays sombre dans la crise.
  • Pourtant, sa mission est souvent trop peu connue du grand public, malgré une fonction parfois fantasmée.
  • Deux ambassadeurs, celle du Soudan et l’ancien d’Ukraine, ont accepté de livrer leur témoignage à 20 Minutes pour rendre compte du métier quand leur pays de résidence est chamboulé.

C’est un personnage de l’ombre mais pas moins essentiel. Le métier parfois fantasmé d’ambassadeur est méconnu du grand public, souvent éclipsé par les événements du pays, ou simplement oublié quand aucune actualité ne concerne la région où il est en mission. Ces dernières années ont été le théâtre de nombreuses crises, comme la guerre en Ukraine en 2022, la guerre civile au Soudan en 2023 ou encore récemment, le coup d’Etat au Niger.

Des situations toutes bien différentes mais qui engagent à chaque fois l’ambassadeur français sur place. Deux d’entre eux, Etienne de Poncins, ancien ambassadeur d’Ukraine, et Raja Rabia, ambassadrice du Soudan, ont accepté de mettre un peu de lumière sur leur quotidien et de raconter à 20 Minutes comment ils ont vécu les bouleversements qui ont secoué leur pays de résidence.

Des expériences de crises uniques

Ils racontent tous les deux des « cas particuliers ». L’un a vécu l’invasion d’un Etat par un autre, la seconde le déclenchement d’une guerre civile. Mais les deux ont vu, en quelques jours ou quelques heures, la ville qu’ils habitaient changer de visage, pleuvoir les bombes et le danger à leur porte. « A un moment donné, les Russes étaient à 800 mètres de l’ambassade », se souvient ainsi Etienne de Poncins. « Entendre les missiles tomber à un kilomètre de vous, ça fait un choc quand même… », assume-t-il.

Quand on est ambassadeur, on risque ce genre de situation où la vie entre en jeu. On est armé de dispositifs et de procédures, mais humainement, on est rarement vraiment prêt à affronter la guerre malgré des expériences dans des régions difficiles. En une nuit, le quotidien à Khartoum a basculé, les tirs ont rythmé les journées « en pleine rue », des bombardements ont résonné dans la capitale soudanaise, tous les ponts étaient coupés… Raja Rabia, « coincée dans sa résidence de l’autre côté du Nil » a eu peur pour sa vie lorsqu’un « assaut a été lancé » contre le bâtiment. Et ce, même si « on est toujours préparés au pire, même si le Soudan était en instabilité chronique depuis 2018 ». « La soudaineté de la guerre de haute intensité nous a frappés », se remémore-t-elle.

Une situation de crise est forcément une situation à forte teneur en stress et en émotions. Il faut savoir garder son calme, rester rationnelle, « presque froide », comme le décrit Raja Rabia. « Il faut essayer de dormir, même si c’est compliqué, dès qu’il y a un moment de répit, se forcer à se reposer, et aussi à manger, même si on n’a pas d’appétit car on est pris dans la gravité du moment », conseille encore l’ambassadrice du Soudan. Il faut savoir rester posé dans un tourbillon d’événements.

L’urgence du rapatriement

Garder son sang-froid, pour remplir son devoir. En temps de paix l’ambassadeur a pour première mission de « construire des ponts sur le long terme, contribuer à la paix, faire comprendre ce qu’est la France et ce qu’est le pays de résidence », illustre Raja Rabia. Mais quand les choses se gâtent, la priorité, c’est de mettre en sécurité les compatriotes, les ressortissants français expatriés ou touristes qui sont dans le pays au moment où ça éclate. Parfois quelques jours avant.

La crise en Ukraine « est montée de façon progressive », ce qui a permis « d’entamer une préparation avec des exercices, des experts, d’activer les procédures au fur et à mesure de la montée des tensions », explique Etienne de Poncins, malgré la réalisation du scénario « le plus extrême envisagé, celui de l’invasion globale du pays ». Dès le 19 février, cinq jours avant le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’ambassade de France avait déjà fortement conseillé aux citoyens tricolores de quitter le pays au regard du danger qui se profilait. « Mais tout le monde n’est pas parti donc il a fallu trouver les moyens d’exfiltrer ceux qui n’ont pas suivi les premières recommandations, être imaginatif, et heureusement, on n’a eu aucun blessé », félicite le diplomate désormais en poste en Pologne. L’organisation se fait en lien étroit et constant avec Paris et le centre de crise et de soutien du Quai d’Orsay. Un outil « performant » qui permet à l’ambassadeur et son équipe d’être soutenus.

Le 15 avril dernier, lorsque le calme précaire s’est transformé en charivari explosif dans la capitale soudanaise, il a fallu organiser l’expatriation en urgence des Français avec une difficulté de taille : l’aéroport avait été pris d’assaut et en partie détruit dès les premières heures du conflit. « On était pris au piège, Khartoum est pratiquement au centre du pays », précise Raja Rabia. Finalement, l’opération baptisée « Sagittaire », lancée le 24 avril, a permis d’évacuer sur trois jours un milliers de personnes de 70 nationalités différentes, dont 238 Français, par l’aéroport militaire de la ville, avec l’autorisation des forces armées soudanaises, qu’Emmanuel Macron a obtenue. Dans une ville très étendue, il a été « très compliqué d’aller chercher les uns et les autres aux trois points de rendez-vous que nous avions fixés », ajoute Raja Rabia. L’ambassadrice a été l’une des premières à rejoindre l’aéroport militaire, étant géographiquement plus proche du point de destination, accompagnée de dizaine de civils, d’un Britannique et de l’ambassadeur allemand et sa famille. « Parce que si on s’en prend à l’ambassadrice, on s’en prend directement à la France », résume-t-elle.

Une priorité, sa mission

Avec le départ de l’ambassadrice, l’ambassade est de fait fermée au Soudan, mais les liens diplomatiques ne sont pas coupés. Raja Rabia continue de remplir sa mission depuis Paris en organisant par exemple des réunions avec l’opposition soudanaise. « Je continue d’avoir des contacts avec des Soudanais restés sur place, je fais aussi des missions dans la région comme en Ethiopie ou en Egypte pour rencontrer des Soudanais qui s’y sont réfugiés, il faut savoir faire vivre ses contacts et puis préparer l’après conflit car toute guerre a une fin, rappelle l’ambassadrice. Même si c’est plus compliqué quand on n’est pas sur le terrain », concède-t-elle.

C’est pourquoi Etienne de Poncins a, lui, préféré revenir. L’ambassadeur est resté en Ukraine jusqu’au dernier Français évacué, pour accompagner ses compatriotes hors du pays envahi tel le « capitaine d’un navire ». Après être resté seulement une vingtaine d’heures en Moldavie, il est reparti avec une petite équipe de volontaires pour s’installer à Lviv. « Ma mission a un aspect politique, la France a voulu témoigner sa solidarité à l’Ukraine apeurée », explique-t-il en précisant que c’est bien le président de la République qui décide de maintenir ou non l’ambassade mais toujours dans l’écoute. « Si j’avais voulu partir j’aurais été rapatrié », assure-t-il.

Tout savoir sur le coup d'Etat au Niger

En plus de l’aspect diplomatique, il était plus facile pour Etienne de Poncins d’être directement sur le terrain pour aider de manière efficace les Ukrainiens notamment pour « identifier leurs besoins, fluidifier des échanges, en face-à-face, c’est plus direct », explicite-t-il. Cela lui a également permis à l’automne dernier de sillonner le pays accompagné du GIGN « pour aller au plus près de la population » mais toujours en sécurité, raconte-t-il. « Ce sont des moments forts sur le plan personnel et en même temps l’expression du soutien français », insiste-t-il. Depuis le 20 août dernier, il a été muté à Varsovie à la fin des quatre années de mandats bien remplies à Kiev. Un poste qu’il a obtenu à sa demande car « ça fait du sens d’être nommé en Pologne, un pays qui a des liens étroits avec l’Ukraine ».