Séisme au Maroc : Ce décalage improbable entre urgence humanitaire et tourisme
reportage•Le séisme qui a frappé le Maroc, vendredi 8 septembre dernier, a laissé les habitants des régions au sud de Marrakech dans une situation de détresse terrible. Pour autant, sur le littoral, les touristes continuent de bronzer sur leurs transats.Mikaël Libert
L'essentiel
- Dans la nuit de vendredi 8 septembre à samedi 9, un puissant séisme de magnitude 7 a touché le Maroc. L’épicentre de la secousse se situait dans la province d’Al-Haouz, au sud-ouest de la ville Marrakech.
- Jeudi soir, des pompiers humanitaires du Groupe de secours catastrophe français (GSCF) se sont envolés d’Orly pour Agadir et apporter 250 kg de matériel à distribuer aux sinistrés. 20 Minutes les accompagne dans leur mission humanitaire.
- Ce vendredi, une semaine jour pour jour après le séisme, les « pompiers humanitaires » se sont rendus dans un village presque entièrement coupé du monde. Outre la seule route devenue impraticable et l’effondrement de toutes les maisons, les habitants d’Adebdi ont aussi enterré dix des leurs.
De notre envoyé spécial au Maroc,
Après avoir passé trois jours dans des villages isolés dans les montagnes, ravagés par le séisme, au nord de la région de Taroudant, le décalage est frappant lorsque l’on débarque à Agadir. Ici, la vie continue. Le séisme n’a laissé aucune trace, du moins aucune trace matérielle. « On a senti la secousse ce soir-là. Le personnel a évacué les clients des hôtels pendant quelques heures, tout le monde a encore en tête le tremblement de terre », explique Rachid, un vendeur à la sauvette qui parcourt inlassablement la promenade du front de mer à la recherche de clients. Le tremblement de terre dont il parle, c’est celui qui a fait plus de 12.000 morts à Agadir dans les années 1960. Si loin mais si proche.
Sur ce même front de mer, il faut reconnaître que ce n’est pas la foule des grands jours en ce dimanche de septembre. Quelques couples, souvent âgés, arpentent tranquillement le bitume. Sur le sable, les plages privées des grands complexes touristiques sont clairsemées malgré le grand ciel bleu et une température relativement clémente de 28 degrés. « D’habitude, à cette époque, entre septembre et octobre, tous les hôtels sont pleins. Là, il n’y a personne », se désole Ismaël, un autre vendeur ambulant qui peine à écouler ses géodes. Alors, dès qu’un touriste se présente dans leur secteur, les arpenteurs de la promenade lui tombent dessus.
Mais lorsque l’on demande à ces vendeurs s’ils trouvent indécent la présence de touristes à quelques dizaines de kilomètres seulement d’un drame humanitaire, ils s’emportent. « Bien sûr que l’on a besoin du tourisme, au contraire, il faut leur dire de venir. Ce n’est pas avec le salaire minimum d’ici qu’on va s’en sortir », poursuit Ismaël avant de filer alpaguer un couple de jeunes français. Forcément, lui reconnaît se faire une quinzaine d’euros par jour en fourguant ses pierres brillantes alors que le Smic marocain ne dépasse pas les 300 euros mensuels.
Au comptoir d’un grand hôtel d’Agadir, un réceptionniste nous confie son inquiétude sous couvert d’anonymat : « On a eu pas mal d’annulations, alors des chambres libres, il y en a plein. Aujourd’hui, vous pouvez avoir une nuit pour 200 dirhams », glisse-t-il Soit l’équivalent de 20 euros, imbattable. Néanmoins, beaucoup de touristes ont décidé de venir quand même. C’est le cas d’Alain et Marie, originaires d’Alsace. « Le voyage était prévu depuis un mois, et à l’origine, nous devions aller à Marrakech », explique Marie. Au lendemain du séisme, tous deux étaient un peu chamboulés. « On a suivi les infos pour voir ce qu’il se passait, et comme l’agence de voyages ne nous a pas mis en garde, nous avons décidé de partir quand même », enchaîne son mari.
Un autre couple de français, des septuagénaires, quitte à peine la réunion organisée par leur hôtel pour les nouveaux arrivants. Ils sont un peu déçus : « Il y a beaucoup d’excursions qui ne sont plus proposées, comme Marrakech ou le Haut atlas, c’est dommage », déplore le mari, accompagné par les hochements de tête de son épouse. Eux regrettent à demi-mot de ne pas avoir reporté leurs vacances. « Moi, je comprends les gens qui annulent. Si on me dit d’aller en vacances dans un pays mais que c’est dangereux, peut-être que je vais aller autre part », nous assure un vendeur de fruits frais, dont la cagette, remplie de raisins, de figues et de dattes, reste désespérément remplie. Du coup, pour lui, les affaires, c’est « comme-ci, comme ça », mais il ne désespère pas que cela reprenne vite, « inchallah ».