nombrilismePourquoi l’aide de la France n’est pas indispensable au Maroc

Séisme au Maroc : Pourquoi l’aide de la France n’est pas indispensable à l’heure qu'il est

nombrilismeSi certains s’indignent que la France n’ait pas été choisie parmi les quatre pays qui vont envoyer de l’aide au royaume après le séisme, il y a des raisons d’abord logistiques avant les explications diplomatiques
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Certains voient dans l’absence de la France parmi les pays choisis pour apporter leur aide immédiate au Maroc un désaveu total.
  • Si Paris ne s’est officiellement pas offusqué, cette réaction montre une vision très « franco-française » de la situation alors que le séisme a tué plus de 2.680 personnes.
  • Des raisons d’abord logistiques expliquent cette absence de réponse de Rabat à Paris, même si les relations entre le Maroc et la France se sont bien détériorées ces dernières années, analysent deux experts de la région.

«C’est une polémique franco-française », balaye Luis Martinez. Pour 20 Minutes, le spécialiste du Maghreb, directeur de recherche au Centre de recherches internationales (CERI), revient sur le débat autour de l’aide proposée par la France au Maroc à la suite du séisme survenu vendredi dernier qui a fait plus de 2.680 morts.

Rabat a accepté le soutien immédiat de quatre pays, l’Espagne, le Royaume-Uni, le Qatar et les Emirats arabes unis. Se demander pourquoi la France n’en fait pas partie peut être une question légitime, mais « nombriliste », abonde Béatrice Hibou, directrice de recherche au CNRS et auteure de Tisser le temps politique au Maroc (Khartala).

Des difficultés logistiques

« Le Maroc n’a refusé aucune aide, aucune proposition », a répondu la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, lundi matin, interrogée sur la question sur BFMTV. Le pays « est seul en mesure de déterminer quels sont ses besoins et le rythme auquel il souhaite que des réponses soient apportées », a-t-elle ajouté. En effet, le royaume meurtri par un séisme n’a simplement pas encore répondu à la proposition d’aide de Paris, comme pour plusieurs autres pays comme les Etats-Unis ou Israël. Le Maroc a « procédé à une évaluation minutieuse des besoins sur le terrain et en tenant compte du fait qu’une absence de coordination pourrait être contre-productive », a en effet expliqué le ministère de l’intérieur marocain.

Et les autres Etats, contrairement à la France, « ne se vexent pas », souligne Luis Martinez. « S’offusquer aujourd’hui, ça n’a pas de sens, c’est de l’orgueil national », ajoute-t-il. Voir cette réaction dans certains médias comme un rejet total de la France et en faire un débat public « c’est voir le problème par le petit bout de la lorgnette », complète Béatrice Hibou qui rappelle qu’il est normal « qu’un Etat qui a subi une telle catastrophe commence par faire un état des lieux des besoins avant d’accepter l’aide proposée d’autant qu’il y a des problèmes de logistiques importants » considérant les zones sinistrées « enclavées ». Ainsi, « un afflux d’aide humanitaire peut aggraver ces difficultés, insiste-t-elle. Ils ne peuvent pas tout accepter, c’est normal de prioriser ».

D’autant que le Maroc n’est pas un pays sous-développé. Il a « des capacités d’organisation, techniques, pour déblayer et pour travailler dans l’urgence », comme l’a montré leur gestion de la crise du Covid-19 rappelle Béatrice Hibou. Et le Maroc a-t-il vraiment besoin de la France ? « Le pays est très compétent pour agir, ne pas faire appel à la France, c’est aussi une manière de montrer qu’on peut régler ses affaires soi-même », abonde Luiz Martinez.

Une relation tendue avec Paris

Le choix des quatre pays a bien été étudié et transmet un message. Pour l’Espagne, c’est naturel puisque, selon Luiz Martinez, le Maroc « a d’excellentes relations » avec Madrid et « elle n’est pas plus incompétente que la France ». En ce qui concerne le Royaume-Uni, « c’est un clin d’œil à l’Union européenne avec laquelle les relations se sont détériorées depuis l’affaire du Qatargate », interprète le directeur de recherche. Quant au Qatar et aux Emirats arabes unis, « il s’agit des deux pays arabes amis du Maroc », explique simplement Luiz Martinez.

Il est vrai que la France aurait pu faire partie du quatuor, notamment pour ses relations anciennes avec le royaume mais aussi pour son expertise dans l’intervention après des catastrophes, sans évoquer une communication facilitée par la langue. Mais « pourquoi choisir la France alors qu’on n’a pas de bonnes relations avec le Maroc ? », note Luiz Martinez. « On oublie que quand on n’entretient pas nos relations amicales d’autres nous remplacent », développe-t-il.

Les raisons du malaise

Plusieurs raisons expliquent ce pourrissement des relations franco-marocaines. En premier lieu, l’attitude d’Emmanuel Macron à l’égard du royaume. Selon Béatrice Hibou, le président français « a aggravé les relations avec le Maroc en adoptant un comportement parfois arrogant et si c’est déjà mal vu en France, c’est encore pire dans les anciens pays colonisés ». Puis des dossiers plus concrets, comme celui du Sahara occidental dans lequel Paris tarde à s’aligner sur Israël et les Etats-Unis qui ont reconnu la « marocanité » de la zone. « Emmanuel Macron fait attendre Mohammed VI, donc Mohammed VI fait attendre Emmanuel Macron », interprète Béatrice Hibou sur ce sujet.

Notre dossier sur le séisme au Maroc

Le rapprochement de la France avec l’Algérie a également jeté un froid avec Rabat qui s’est senti « délaissé » dans cette politique extérieure « pro-Algérie », analyse Luiz Martinez. A cela, s’ajoute la crise concernant Pegasus et les accusations d’espionnage du téléphone d’Emmanuel Macron. Enfin, la crise des visas, quand Paris a décidé de diviser par trois la délivrance des visas, est venue encore aggraver les relations. La réaction officielle de Paris à la suite de sa proposition d’aide est en revanche à la hauteur. « Dire on est disponible à vous de décider c’est la réaction qu’il fallait avoir », estime Luiz Martinez.

D’autres manières d’aider

Notre aide n’est toutefois pas indispensable dans l’immédiat, et ce n’est pas grave. On pourra porter main forte aux Marocains à l’heure de la reconstruction, quand il s’agira de rebâtir les infrastructures et « reconstruire des villages entiers », souligne Béatrice Hibou. Il est par ailleurs possible d’apporter une aide financière, comme cela a été annoncé par le ministère des Affaires étrangères français à hauteur de cinq millions d’euros aux ONG actuellement sur place. Plusieurs départements français ont également dévoilé mettre la main à la poche pour venir en aide à la population marocaine.