Fukushima : Comment la Chine fait « pression » avec les rejets d’eau (faiblement) contaminée
Argument liquide•Pékin s’insurge contre le rejet de l’eau de la centrale Fukushima dans l’océan, malgré l’aval de l’Agence internationale de l’énergie atomiqueDiane Regny
L'essentiel
- Tepco, l’opérateur de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima au Japon, a annoncé mercredi avoir commencé les derniers préparatifs avant le rejet de l’eau stockée sur le site dans l’océan Pacifique.
- Ce rejet, prévu pour jeudi, provoque la colère de la Chine, qui a convoqué l’ambassadeur japonais et mis en place des restrictions sur les importations de produits alimentaires nippons.
- Mais « la Chine ne réagit pas par rapport à un risque environnemental, elle a d’autres enjeux en tête », décrypte à « 20 Minutes » Valérie Niquet, directrice du pôle Asie de la Fondation pour la recherche stratégique et autrice de Le Japon en 100 questions.
Au creux de la vague comme sur la crête, la géopolitique sait s’adapter aux ressacs de l’océan international. Ces derniers jours, la Chine surfe sur le rejet des eaux de Fukushima. L’opération, qui consiste à déverser à travers un tunnel sous-marin les eaux contaminées de la centrale nucléaire nippone, doit débuter ce jeudi. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a validé ce plan et la concentration de tritium, le seul résidu qui n’a pas pu être filtrée, est 40 fois inférieure à la norme internationale en la matière.
Pourtant, Pékin hausse le ton et profite de la marée pour avancer ses pions. Quels sont ses intérêts ? La Chine est-elle la seule à protester ? 20 Minutes fait le point pour vous grâce à l’analyse de Valérie Niquet, directrice du pôle Asie de la Fondation pour la recherche stratégique et autrice de Le Japon en 100 questions.
Comment la Chine réagit-elle ?
L’annonce de Tokyo a fait grincer des dents le pouvoir chinois dont la réplique n’a pas tardé. Mardi, l’ambassadeur du Japon en Chine a été convoqué. « La Chine ne réagit pas par rapport à un risque environnemental, elle a d’autres enjeux en tête », prévient toutefois d’emblée Valérie Niquet, directrice du pôle Asie de la Fondation pour la recherche stratégique. Dès juillet, l’Empire du milieu a décidé d’interdire l’importation de toutes les denrées alimentaires de dix départements nippons, donc celui de Fukushima. Hongkong lui a emboîté le pas mardi. Dans les autres départements japonais, Pékin a imposé des contrôles stricts.
« La Chine utilise n’importe quel argument pour exercer une pression. Avec des contrôles sanitaires longs d’un mois, les produits japonais de la mer s’abîment. C’est une stratégie que Pékin a déjà utilisée, par exemple à l’encontre de la Norvège et de ses exportations de saumons », explique Valérie Niquet qui ajoute : « L’arme du commerce est souvent brandie par la Chine ». En attisant les braises, Pékin espère bousculer son voisin.
Pourquoi Pékin surfe-t-il sur ce rejet ?
« Les relations entre la Chine et le Japon sont tendues. Pendant très longtemps, le Japon a soutenu l’économie chinoise, a beaucoup investi en Chine et se montrait plutôt favorable à un rapprochement avec Pékin. Mais, notamment depuis l’arrivée de Xi Jinping, Pékin a une attitude de plus en plus agressive dans la région tandis que le Japon a tendance à se rapprocher de plus en plus des Etats-Unis », décrypte Valérie Niquet. Les relations sino-japonaises se sont donc progressivement dégradées.
La colère de Pékin a plus à voir avec le positionnement de plus en plus occidentalisé de l’archipel voisin qu’avec l’eau de Fukushima. La semaine dernière, à l’issue d’un sommet trilatéral avec la Corée du Sud et les Etats-Unis, le pays a d’ailleurs annoncé le renforcement de leur coopération militaire. Au grand dam de l’Empire du milieu qui profite de l’eau de Fukushima pour punir Tokyo. « En faisant pression, la Chine espère amener le Japon à adopter une attitude différente. Pékin préférerait un Japon bien plus neutre, bien plus docile », affirme la chercheuse.
Mais les Chinois sont-ils vraiment les seuls à faire part de leur inquiétude ?
La Chine est la plus vocale dans son opposition au rejet des eaux de Fukushima. Mais à l’intérieur de l’archipel, les pêcheurs sont en ébullition. « Le risque réel n’existe pas ou est négligeable mais il existe en revanche un risque réputationnel pour le Japon », explique Valérie Niquet. « Au Japon, le nucléaire revêt une importance symbolique importante. Des poissons ont déjà été contaminés dans l’archipel, même si ce n’était pas forcément à cause du nucléaire, et l’inquiétude reste. Si le risque réel est minime, les pêcheurs locaux s’inquiètent de l’image que cela va donner à leur marchandise », note Valérie Niquet, ajoutant qu’actuellement des négociations sont en cours avec le gouvernement, afin de mettre en place une compensation pour les travailleurs de la mer.
En Corée du Sud, des phénomènes de pénuries ont mis au jour l’angoisse de la population. Les Coréens ont vidé les supermarchés de leur sel de table, stockant de kilos à leur domicile, affolés à l’idée qu’il devienne dangereux. D’autres produits ont été pris d’assaut comme les boîtes de sardine ou les feuilles d’algues séchées. « Le président sud-coréen s’est rapproché du Japon et des Etats-Unis et a publiquement affirmé qu’il faisait confiance à l’AIEA sur Fukushima. Mais l’opposition politique a tendance à monter en épingle ce problème. C’est une question de jeu politique intérieur », décrypte la chercheuse. D’autant que « la Chine et la Corée du Sud ont des centrales nucléaires en bord de mer qui rejettent des eaux contaminées dans des proportions bien plus importantes que ne le fera Fukushima », lance-t-elle. De quoi rappeler l’adage de la paille et de la poutre.