Italie : Féminicide, émotion énorme et avocat misogyne… Retour sur l’affaire Turetta
enquête•Filippo Turetta, âgé de 22 ans, est accusé d’avoir tué son ex-petite amie Giulia Cecchettin, avant de prendre la fuite en Allemagne. Les funérailles de la victime se sont tenues mardi 6 décembre près de VeniseG.N. avec AFP
L'essentiel
- Filippo Turetta est accusé d’avoir tué à coups de couteau sa petite amie, Giulia Cecchettin, dans la nuit dedu samedi 11 au dimanche 12 novembre, à Fosso, près de Venise.
- En fuite, il a été arrêté le 18 novembre en Allemagne et sera extradé ce samedi en Italie.
- Ce féminicide a soulevé une vague d’indignation en Italie, portée notamment par les déclarations misogynes du premier avocat du suspect. Des milliers de personnes ont rendu mardi 6 décembre un dernier hommage à la victime lors des funérailles, près de Venise.
Cela n’aurait pu être que l’un des 102 féminicides qui ont endeuillé l’Italie depuis le début de l’année. Mais le meurtre de Giulia Cecchettin, dans la nuit du samedi 11 au dimanche 12 novembre, sur un parking d’une zone industrielle de Fosso, entre Padoue et Venise, est passé du statut de faits divers à celui de sujet de société avec la mise en cause d’une Italie encore très patriarcale et machiste.
Des milliers de personnes ont rendu un dernier hommage émouvant à la victime de 22 ans mardi 6 décembre. Camarades d'universités, représentants du monde politique et Italiens ordinaires se sont pressés aux funérailles à la basilique Sainte-Justine de Padoue, près de Venise, pour manifester leur solidarité aux proches de l'une des plus récentes et choquantes victimes de féminicide dans la péninsule. 20 Minutes revient sur cette affaire emblématique des violences faites aux femmes de l’autre côté des Alpes.
Que s’est-il passé ?
Samedi 11 novembre au soir, Filippo Turetta et Giulia Cecchettin, 22 ans tous les deux, dînent dans un McDonald’s de Fosso où la jeune fille règle l’addition de 17 euros. A 23h15, une dispute éclate sur un parking situé à 150 mètres de l’habitation de la jeune fille, rapporte SkyTG24 qui s’est procuré l’ordonnance de mise en accusation de la juge d’instruction de Venise, Benedetta Vitolo. Un témoin entend alors Giulia hurler « tu me fais mal » et prévient la police qui ne juge pas nécessaire de se déplacer. Filippo contraint la jeune fille à monter dans sa voiture puis la conduit sur un autre parking d’une zone industrielle. Là Giulia parvient à s’enfuir mais elle est rattrapée par le jeune homme, projetée au sol puis violemment agressée. Son petit ami d’alors lui assène alors plusieurs coups de couteau fatals à la tête et au cou. Un mois avant environ, Giulia avait confié à ses amis sur WhatsApp : « Je ne supporte plus Pippo, je voudrais qu’il disparaisse mais j’ai peur pour lui ».
Filippo charge ensuite le corps inanimé dans sa voiture et se rend vers Piancavallo, à 100 km au nord de Venise, où il jette le cadavre dans un ravin de plusieurs dizaines de mètres. Enfin il prend la fuite vers le Nord et l’Allemagne où il sera interpellé par la police samedi 18 novembre, peu après la découverte du corps de Giulia. Il aurait alors déclaré aux enquêteurs allemands : « J’ai tué ma copine, j’ai erré pendant sept jours parce que j’essayais d’en finir. J’ai pensé plusieurs fois à foncer contre un obstacle et plusieurs fois je me suis mis un couteau sous la gorge mais je n’ai pas eu le courage d’en finir. » Maintenu en détention, Filippo sera extradé par avion en direction de Venise ce samedi matin, précise le Corriere della sera, soit le jour même de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes.
Quel est le profil de l’accusé ?
Ce qui marque est le contraste entre l’apparence tranquille de l’accusé et la violence de son geste. Pour la juge d’instruction, Filippo Turetta, qui « pourrait tuer d’autres femmes », apparaît « imprévisible, car après avoir mené une vie apparemment normale, il a soudainement commis cet acte fou et imprudent ». C’est pourquoi, selon elle, il doit être maintenu en détention en raison de « la gravité sans précédent et l’inhumanité manifeste » dont il a fait preuve contre la « jeune femme avec laquelle il avait eu une relation sentimentale ».
Nicola et Elisabetta, les parents de Filippo, ont avoué ne pas comprendre les agissements de leur fils. « Cela me semble impossible, ont-il déclaré au Corriere della sera. Peut-être qu’il voulait la kidnapper pour qu’elle n’ait pas son diplôme [avant lui] et puis la situation a dégénéré. Nous pensons qu’une veine a éclaté dans sa tête. Il n’y a vraiment aucune explication. » L’avocat du jeune homme, Emanuele Compagno, n’écarte pas le recours à un examen psychiatrique sur son client pour évaluer sa capacité de discernement, préparant ainsi une défense sur l’irresponsabilité de Filippo. Mais pour Elena, la sœur de Giulia, « Filippo n’est pas un monstre ou un malade, […] c’est le fils sain d’une société patriarcale imprégnée de la culture du viol ».
La mise en cause du patriarcat en Italie
Ce questionnement sur le machisme et la misogynie de la société italienne a été renforcé par les déclarations de l’avocat de Filippo, Emanuele Compagno. Charlotte Matteini, une journaliste du Fatto Quotidiano, a en effet retrouvé d’anciens posts de l’avocat où il minimise les violences sexistes. Ainsi dans un commentaire à un article, il écrit : « En cette journée contre la violence contre les femmes, il est juste de rappeler que les victimes sont des deux côtés. » Ce qui est faux statistiquement parlant. Ou cet autre post qui a beaucoup fait parler : « Je ne comprends pas ce que font les jeunes filles habillées en pu… dans tout le pays. […] Honte à vous ! » Depuis, Filippo Turetta a pris un autre avocat, Giovanni Caruso.
De multiples manifestations en réaction à la mort de Giulia Cecchettin se sont tenues ces derniers jours dans toute la péninsule avant une grosse mobilisation prévue samedi à Rome. Mais la sphère politique s’est aussi emparée du sujet puisqu’Elly Schlein, la secrétaire générale du Parti démocrate (gauche), a pris à partie la présidente du Conseil, Giorgia Meloni, en lui demandant de se mobiliser contre les violences sexuelles et sexistes, notamment au sein des écoles italiennes.