Guerre Hamas – Israël : Pourquoi un contrôle de Gaza défendu par Netanyahou risque de finir en « bourbier »
« Guerre contre la terreur », le retour•« Israël assumera, pour une durée indéterminée, la responsabilité générale de la sécurité », a déclaré Benyamin Netanyahou semblant annoncer un contrôle au sol de l’enclave palestinienneCécile De Sèze
L'essentiel
- Le Premier ministre israélien a prononcé une formule ambiguë renvoyant à un certain contrôle militaire au sol de la bande de Gaza.
- Une manière pour Benyamin Netanyahou de tâter le terrain alors qu’Israël semble naviguer à vue pour l’avenir de l’enclave palestinienne.
- Qu’a bien pu vouloir dire le chef du gouvernement israélien ? Un contrôle de la bande de Gaza peut-il apporter de la sécurité au territoire hébreu ou au contraire s’avérer contre-productif ? Réponses avec deux experts interrogés par 20 Minutes.
C’est une phrase ambiguë mais pas moins commentée. Lors d’une interview à ABC, Benyamin Netanyahou a déclaré : « Israël assumera, pour une durée indéterminée, la responsabilité générale de la sécurité » dans la bande de Gaza. Le Premier ministre israélien a-t-il par ces mots annoncé l’intention de son gouvernement à occuper l’enclave palestinienne à la suite de son offensive terrestre visant à éliminer la branche armée du Hamas ? Difficile d’y répondre avec certitude, mais pour Joan Deas, directrice exécutive de l’Institut de Recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO), il y a un risque d’échec de la stratégie israélienne, avec la possibilité d’un renforcement du Hamas.
Quel sens donner à cette formule de Benyamin Netanyahou ?
Il est compliqué d’interpréter avec certitude ce qu’a voulu dire le responsable israélien. Joan Deas tient néanmoins à rappeler que la bande de Gaza « est déjà officiellement sous occupation israélienne même si Israël maintient un contrôle à distance ». Maintenant, sur les différentes options mises sur la table dans le gouvernement de Benyamin Netanyahou après l’opération terrestre lancée le 26 octobre dernier, celle « d’un contrôle militaire au sol jusqu’à ce que le Hamas ne soit plus en état de nuire » semble être la voie privilégiée, sachant que le Premier ministre israélien doit contenter un gouvernement d’urgence formé de politiques aux opinions parfois divergentes. Ainsi, avec cette petite phrase, « il tâte le terrain », analyse Joan Deas.
Jean-Loup Samaan, chercheur associé à l’Institut français de relations internationales (Ifri) l’analyse de son côté comme « une idée proche d’un retour au cadre prévu par le processus d’Oslo, à savoir la sécurité intérieure dans les territoires de Cisjordanie et de Gaza dévolue à l’autorité palestinienne mais avec un certain contrôle d’une partie de cette sécurité par Israël », développe le chercheur. Cette option pose néanmoins le problème de la durée de cette configuration ainsi que celle des partenaires légitimes et prêts à la mettre en place. « Le retour de l’autorité palestinienne semble être l’option souhaitée par Israël et les Etats-Unis mais c’est très difficile dans le contexte actuel car c’est une autorité affaiblie financièrement et politiquement, et elle paraîtrait encore plus comme un gouvernement fantoche téléguidé par les Israéliens », développe Jean-Loup Samaan. Et donc la question reste en suspens : qui pour assurer l’administration de la bande de Gaza ?
Un tel contrôle peut-il permettre à Israël d’assurer sa sécurité ?
Un contrôle militaire de l’enclave palestinienne par l’armée israélienne permettrait sans doute à Israël d’assurer, au moins à court terme, une certaine sécurité à son peuple. Mais c’est aussi un réel « bourbier » dans lequel les autorités israéliennes sont en train de s’enfoncer, estime Joan Deas. « Ça va leur coûter cher en argent, militairement, d’un point de vue de leur réputation à l’international, en gestion, le tout sans garantie que l’objectif militaire [d’éliminer complètement le Hamas] soit rempli », explique-t-elle. D’autant que tous les regards se tournent vers le Hamas, mais d’autres factions armées pullulent dans la bande de Gaza, à commencer par le Djihad islamique.
« A court terme, Israël peut espérer renforcer sa sécurité mais cela suppose d’avoir un partenaire dans la bande de Gaza », ajoute Jean-Loup Samaan. Pour cela, « il faut un plan qui inclut les Etats-Unis et un certain nombre de pays arabes comme l’Égypte et l’Arabie saoudite », poursuit-il. Et « le problème avec Benyamin Netanyahou, c’est qu’une partie de sa stratégie sur le dossier palestinien est de rendre permanent le statut temporaire », prévient Jean-Loup Samaan, citant en exemple le blocus de Gaza décidé en 2007 et toujours en place seize ans plus tard.
Cette stratégie peut-elle se révéler contre-productive et renforcer le Hamas ?
Le gouvernement israélien est-il en train de vivre sa propre « guerre contre la terreur » avec les échecs qui y sont attachés ? « Les erreurs se reproduisent », résume en effet Joan Deas. Le piège tendu par le Hamas ressemble fort à celui des talibans qui, vingt après le début de l’invasion américaine en Afghanistan sont revenus plus forts et règnent désormais sur le pays. C’est donc le Hamas qui risque d’en ressortir plus puissant et influent qu’avant. « La violence attire la violence, on crée de la radicalisation en puissance », alerte ainsi Joan Deas. « A court terme, reprendre le contrôle militaire au sol peut remplir certains objectifs stratégiques, mais à long terme c’est une catastrophe », appuie-t-elle.
Notre dossier sur la guerre entre le Hamas et IsraëlCar « le problème de ce type d’invasions, c’est qu’elles ont des objectifs militaires clairs mais sans objectif politique pour l’après. Le gouvernement israélien en a conscience mais pour l’instant il n’y a pas d’autre option viable », abonde Jean-Loup Samaan. Mais Netanyahou sera-t-il seulement encore en poste lorsque la question se posera ? « Il n’aura probablement jamais à gérer cette décision puisqu’il sera visé par une enquête sur l’échec du 7 octobre qui conduira certainement à la chute de son gouvernement », tranche Jean-Loup Samaan.
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