risques d’escaladeUne coalition contre le Hamas « aggraverait les haines réciproques »

Israël : Une coalition internationale pour lutter contre le Hamas « pourrait aggraver les haines réciproques »

risques d’escaladeEn déplacement à Jérusalem mardi, Emmanuel Macron a surpris tout le monde en proposant une coalition internationale pour lutter contre le Hamas
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Emmanuel Macron s’est rendu en Israël mardi pour la première étape de son tour de la région afin de montrer le soutien de la France ainsi que de jouer la carte de la diplomatie pour tenter de ramener la paix au Proche-Orient.
  • Dans ce contexte, le président de la République a proposé de former une « coalition » internationale pour « lutter » contre le mouvement islamiste palestinien Hamas.
  • De quoi parle le chef de l’Etat ? A quoi pourrait ressembler cette coalition ? Pourrait-elle être efficace ? Réponses avec Pierre-Jean Luizard, directeur de recherche au CNRS, historien de l’islam au Moyen-Orient et auteur des Racines du chaos (Tallandier).

L’annonce a surpris tout le monde, jusqu’au Quai d’Orsay. Lors de la conférence de presse conjointe avec Benyamin Netanyahou tenue mardi à Jérusalem, Emmanuel Macron a affirmé que « la France [était] prête à ce que la coalition internationale contre Daesh, dans le cadre de laquelle nous sommes engagés pour notre opération en Irak et en Syrie, puisse lutter aussi contre le Hamas ». « Je propose à nos partenaires internationaux que nous puissions bâtir une coalition régionale et internationale pour lutter contre les groupes terroristes qui nous menacent tous », a poursuivi le président français.

A quoi pourrait ressembler la formation proposée par le président français ? Est-elle seulement faisable ? Pourrait-elle être efficace ? Réponses avec Pierre-Jean Luizard, directeur de recherche au CNRS, historien de l’islam au Moyen-Orient et auteur des Racines du chaos (Tallandier).

A quoi pourrait ressembler cette coalition internationale ?

Elaborée à l’Elysée, notamment par le conseiller politico-militaire Xavier Chatel, selon Le Monde, l’idée a été précisée par le palais présidentiel. « Nous sommes disponibles pour augmenter ce que nous faisons dans la coalition contre l’EI [Etat islamique], en fonction de ce qu’Israël nous demande, a ainsi nuancé l’Elysée. La coalition contre l’EI est la référence : une coalition des volontaires, sous forme de soutien politique ou militaire. Soixante pays, dont seuls trois ont déployé des forces sur le terrain : les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France, avec l’Allemagne sur le plan technique. »

Il s’agirait donc d’une coalition « sur le modèle » de celle formée en 2014 pour lutter contre Daesh et menée par les Etats-Unis mais « dans un contexte très différent », souligne Pierre-Jean Luizard. Dans la coalition contre Daesh, les Washington et Téhéran, ou du moins les milices irakiennes pro iraniennes, ont en effet passé une « alliance inavouée pour mener la guerre » contre le groupe djihadiste, rappelle le chercheur. Une éventualité inimaginable dans le contexte de la guerre entre le Hamas et Israël, l’Etat hébreu étant l’ennemi juré de l’Iran.

Quel pourrait être son rôle ?

Emmanuel Macron a également apporté des éléments de précision à la sortie de sa rencontre avec le président égyptien mercredi. Le rôle de cette coalition serait de « mieux cibler les terroristes auxquels on s’attaque, échanger l’information avec les partenaires, d’être plus précis et d’épargner les civils », a-t-il déclaré devant la presse.

« Est-ce que ça doit être la même, est-ce qu’on doit la transformer ? Ne rentrons pas dans des contraintes aujourd’hui juridiques. Elle existe. Peut-être que les mêmes Etats ne veulent pas faire la même chose mais en tout cas on a cette expérience d’une coopération qui a permis dans la région de lutter efficacement contre des groupes terroristes et qu’on poursuit », a-t-il encore plaidé. Le président voudrait ainsi se servir de « l’expérience » de la coalition anti Daesh pour en bâtir une « avec tous les Etats qui sont prêts à aider à lutter contre les groupes terroristes dont le Hamas, à partager les informations, à identifier ces terroristes et à les neutraliser ».

Pourrait-elle être efficace ?

La coalition internationale contre Daesh avait pour mission de détruire le groupe terroriste basé à cheval en Syrie et en Irak. « Cette dimension territoriale de la mission est réussie », note Pierre-Jean Luizard. En revanche, le groupe terroriste ainsi que son idéologie perdurent depuis. Pour preuve les attentats qui ont touché la France et la Belgique récemment, revendiqués par l’organisation terroriste. Un échec dû au manque de « solution politique nécessaire pour éliminer Daesh », explique le chercheur qui rappelle que « la menace » de voir à nouveau l’Etat islamique se constituer un territoire « existe toujours » car « le contexte qui a expliqué son succès en Irak en 2014 est toujours en place ».

Peu de chance qu’une telle coalition parvienne, de la même manière, à mettre fin à un groupe comme le Hamas. En règle générale, « toutes les coalitions internationales formées contre des mouvements djihadistes ont finalement eu un effet contraire au but recherché », résume Pierre-Jean Luizard.

Daesh et Hamas, même combat ?

Benyamin Netanyahou l’a répété mardi : Israël considère le Hamas comme égal à Daesh, représentant la même menace pour le monde affirmant que le Hamas, « ce n’est pas l’Etat islamique à des milliers de kilomètres de l’Europe. C’est l’Etat islamique dans les banlieues de Paris ». Pourtant, cette comparaison est remise en question par de nombreux spécialistes, notamment Pierre-Jean Luizard pour qui les deux groupes « ne sont pas comparables ».

« L’EI voulait effacer les frontières, alors que le Hamas veut en créer pour faire un Etat palestinien », développe-t-il. Malgré une « daeshisation du mode opératoire du groupe palestinien lors de son attaque en Israël [le 7 octobre dernier], elle est nouvelle et due à l’état de désespoir des Palestiniens face à un processus de paix bloqué qui les condamne à une vie infernale », poursuit-il. Emmanuel Macron a lui aussi bien distinguer les deux groupes armés affirmant que le Hamas « est différent de Daesh, je ne fais pas d’équivalence, mais c’est un groupe terroriste. »

Quels risques pourrait engendrer cette coalition ?

Contre l’Etat islamique, « il n’y avait pas le risque que représenterait une coalition contre le Hamas d’internationaliser le conflit, cette coalition aurait fait paraître la France et les autres pays participants comme des alliés directs d’Israël et des ennemis des pays arabes » et notamment à travers une « intervention terrestre des soldats français dans la bande de Gaza », prévient Pierre-Jean Luizard. Emmanuel Macron a, sur ce dernier point, assuré mercredi qu’il n’était « pas du tout prévu d’envoyer des militaires français dans la bande de Gaza. »

La proposition, beaucoup critiquée par les spécialistes, pourrait « accroître les divisions et aggravé les haines réciproques en nous entraînant dans une guerre qui ne devrait pas être la nôtre », conclut Pierre-Jean Luizard à propos de cette idée.