De WikiLeaks aux Pentagone papers… Les plus grosses fuites du secret-défense américain
Spoilers•Sans doute parce qu’ils sont plus actifs, les activités « secret-défense » des Etats-Unis ne le restent pas toujours. Après la grotesque erreur de l’annonce sur Signal d’une attaque sur les Houthis, retour sur les plus gros fails du secret-défense US
Alexandre Vella
L'essentiel
- Le rédacteur en chef de The Atlantic a reçu par texto le plan d’attaque des Etats-Unis contre les Houthis au Yémen.
- Cette fuite d’informations secret-défense est loin d’être une première pour les Etats-Unis.
- De la boulette Signal à WikiLeaks jusqu’aux Pentagone papers, 20 Minutes revient sur quelques-uns de ces plus gros fails et fuites de documents secret-défense américains qui ont marqué l’histoire.
Nous sommes plus d’un à nous être déjà trompés de destinataire au moment d’envoyer un message, nous laissant dans un embarras mêlé de gêne et de honte de voir nos petits complots et commentaires, loin d’être secret-défense, exposés aux grands jours.
C’est plus ou moins ce qui est arrivé à l’administration Trump, avec le Vice-président des Etats-Unis J.D. Vance et son ministre de la Défense Pete Hegseth qui balancent sur Signal leurs plans d’attaque contre les rebelles Houthis du Yémen, alors que figure dans le groupe de discussion un journaliste de The Atlantic. Des informations que le destinataire par accident a tues dans l’immédiat, doutant de celles-ci et pensant même à un scam (une arnaque).
Aussi grotesque soit cette fuite, il ne s’agit pas d’une première dans la longue histoire moderne des services secrets dont les renseignements, documents et activités finissent bien souvent, et bien malgré eux, à être rendus publics. 20 Minutes revient sur quelques-uns de ces plus gros fails et grosses fuites de documents secret-défense qui ont marqué l’histoire des Etats-Unis. Spoilers : on est jamais mieux trahi que par les siens.
1971 - Les Pentagone papers et le mensonge d’Etat sur le Vietnam
7.000 pages, dont les bonnes feuilles publiées par le New York Times en 1971, révèlent que plusieurs administrations américaines ont sciemment menti au Congrès pour précipiter l’engagement américain au Vietnam.
Cette première grosse fuite de documents top secret est l’œuvre de l’analyste militaire américain Daniel Ellsberg. Averti de la publication du New York Times, le gouvernement tente bien d’en bloquer la publication, mais la Cour suprême tranche au nom de la liberté d’expression : c’est le coup de grâce pour l’engagement US au Vietnam que soutenait de moins en moins l’opinion publique américaine. Moins de deux ans plus tard, les derniers marines quittent Saïgon, aujourd’hui Hô Chi Minh-Ville.
Et Daniel Ellsberg ne sera jamais condamné pour cette forfaiture. Accusé, entre autres, de complot et d’espionnage, risquant jusqu’à cent quinze années de prison, il a vu les poursuites à son encontre abandonnées en 1975 en raison de perquisitions illégales. Celui qui est considéré comme le premier lanceur d’alerte de l’histoire est décédé en 2023, non sans avoir apporté son soutien à Edward Snowden.
2006 - WikiLeaks une plateforme pour tout faire fuiter
Créé en 2006 par Julian Assange, WikiLeaks a publié plus de dix millions de documents confidentiels jusqu’en 2018, date des dernières fuites notables publiées sur la plateforme. Des exactions commises par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan, à l’étalement des coulisses de la peu aimable politique étrangère des États-Unis jusqu’à la série « Vault 7 », qui détaille les tentaculaires capacités de cyberespionnage utilisées par la CIA, WikiLeaks est sans nul doute possible la plus importante opération de révélation de documents secret-défense ayant jamais existé.
Et pour en avoir créé le support, Julian Assange en a payé le prix : accusé d’espionnage, il se réfugie en 2012 à l’ambassade d’Équateur à Londres où il passe sept années reclus. Finalement arrêté en 2019 et incarcéré, il plaide coupable et se trouve condamné à soixante-deux mois de prison. Une peine couverte par sa détention provisoire à Londres, ce qui lui permet de regagner librement l’Australie. Ses « complices » qui lui ont transmis certaines des fuites les plus sensibles ont également été poursuivis - et lourdement condamnés - par la justice américaine.
Ainsi, Chelsea Manning, une analyste militaire américaine a été condamnée en 2013 à trente-cinq ans de prison pour les fuites de centaines de milliers de documents militaires, et notamment une vidéo montrant le bombardement d’un hélicoptère américain qui a tué des civils et des journalistes de Reuters en Irak en 2007. Sa peine a été commuée par Obama en 2017, sept ans après son arrestation.
Plus récemment, Joshua Schulte, ex-informaticien de la CIA de 36 ans, a été condamné en 2024 à quarante ans de prison pour ses révélations sur les outils qui ont permis aux renseignements américains de pirater des smartphones (iOS et Android), ordinateurs (Windows, Mac, Linux) et même des téléviseurs connectés pour les transformer en micros d’espionnage.
2013 - Edward Snowden et Big Brother à l’Elysée
En 2013, Edward Snowden, sous-traitant de la NSA, révèle au monde l’existence d’un vaste programme de surveillance mis en place par les États-Unis. Il démontre que la NSA espionne des millions de citoyens, mais aussi des dirigeants étrangers, dont les trois prédécesseurs d’Emmanuel Macron. Avec cette interrogation indispensable : qu’ont pensé les analystes de la CIA des virées à scooter de François Hollande ?
Pour échapper à la justice américaine, Snowden se réfugie en Russie, où il vit encore aujourd’hui et a obtenu la nationalité après que plusieurs pays, dont la France, lui ont refusé une telle protection.
2021 - Toujours plus d’évasion fiscale avec les Pandora papers
Après les Panama papers (2016), suivis des Paradise papers (2017), le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) récidive en 2021 avec les Pandora papers qui dévoilent 11,9 millions de documents, révélant comment chefs d’État, célébrités et grandes fortunes continuent de dissimuler leurs actifs dans des paradis fiscaux.
Parmi les personnalités citées, Vladimir Poutine, le roi de Jordanie ou encore des artistes comme Shakira et Elton John. Les Français ne sont pas à la peine, avec la présence de Bernard Arnault ou encore de Catherine Deneuve dans ces documents. Une fois de plus, le scandale éclate, mais les conséquences restent limitées, faute de véritables mesures internationales.
2023 - Les doutes du Pentagone à propos de la guerre en Ukraine sur Discord
Dernière fuite en date, les Discord Leaks révèlent des documents ultra-confidentiels sur la guerre en Ukraine et l’espionnage américain. On y lisait entre autres les doutes du Pentagone sur la contre-offensive ukrainienne de l’été 2023, qui ne pourrait obtenir que de « modestes gains territoriaux » face aux forces russes.
À l’origine de la fuite, Jack Teixeira, un jeune militaire américain, qui partage ces informations sur un serveur Discord. Ce qui ressemblait à une simple vantardise entre gamers se traduit par une cour martiale pour son auteur, condamné à quinze ans de prison.