C’est le tour de passe-passe du siècle. Dimanche, les Américains n’ont plus eu accès à TikTok, alors que la Cour suprême avait, deux jours plus tôt, confirmé une loi forçant soit la vente soit l’interdiction de l’application, sur fond de scandale aux données personnelles. A peine quinze heures plus tard, TikTok revient, comme si de rien n’était. A la manœuvre : le président élu, le grand prestidigitateur, le seul et unique Donald Trump.

Dans le message qui accompagnait l’interdiction du réseau social chinois, il était même directement nommé. « Une loi interdisant TikTok a été mise en application aux Etats-Unis, affichait l’application ce dimanche. Nous avons la chance que le président Trump ait indiqué qu’il allait travailler avec nous à une solution pour rétablir TikTok une fois entré en fonction. Restez branchés ! » Rebelotte lorsque l’application est débloquée. Cette fois, c’est « grâce aux efforts du président Trump », que « TikTok est de retour aux US ». Il a promis de suspendre la loi par un décret présidentiel dès son entrée en fonction.

A la conquête des jeunes et des influenceurs

« Dans le passé, c’était facile de stigmatiser TikTok et jouer la carte du protectionnisme américain, analyse Alexandre Eyries, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’université catholique de l’ouest à Angers. En ayant tous les milliardaires de la tech dans son camp, TikTok ne lui semble plus si critiquable. » Alors simplement candidat, il avait ouvert un compte sur la plateforme en juillet. S’il n’a pas tant posté que ça sur la plateforme, sa culture du clash et son appel aux émotions correspondent bien aux codes de TikTok. « Ce qui intéresse Trump, ce n’est pas le direct, juge l’enseignant. Soigner son image, scénariser des scènes, ça lui correspond plus. »

Mais surtout, le réseau social lui offre une place au chaud dans le quotidien des Américains. « Il s’agit de toucher les jeunes, et leurs parents, considère Anne-Clair Ruel, enseignante en communication politique à l’université Paris Nord, et fondatrice du compte Instagram Call Pol. En effet, si 65 % des 18-19 ans utilisent TikTok aux États-Unis en 2024, le temps passé sur la plateforme des adultes est passé de 30 minutes en 2020 à 46 minutes en 2022. » « Pour Trump, qui a un électorat assez âgé, c’est une opération séduction opportuniste et maligne, un peu à son image », complète Alexandre Eyries.

« Cette dernière sortie de Trump, c’est peut-être un moyen de séduire et de s’attirer les faveurs de ceux que suivent les jeunes précisément : les influenceurs, reprend Anne-Clair Ruel. Ils sont totalement dépendants des plateformes pour leur audience et la monétisation, dont on dit qu’ils ont joué un rôle décisif dans l’élection de Trump. » Ajoutez à cela d’autres épisodes de la campagne comme la tentative d’assassinat à son encontre ou les photos de lui en équipier McDo, et le républicain entre à la Maison-Blanche avec une image redorée.

Entre Donald Trump et TikTok, c’est gagnant-gagnant

« Le soutien affiché de la plateforme est très révélateur des équilibres géopolitiques », où Donald Trump tisse des liens avec la Russie ou la Chine, souligne aussi Alexandre Eyries. Quant à TikTok, « elle a tout à y gagner : une place en Amérique et une image de symbole, apparaissant capable de compromis avec les Etats-Unis ».

Donald Trump a accordé un sursis à TikTok, en faisant toutefois savoir qu’il envisageait un actionnariat à 50 % américain. « Avec ce qui semble être le sauvetage de TikTok, Donald Trump renforce son image de "dealer" et son approche transactionnelle, résume Anne-Clair Ruel. Il en fait précisément un objet de "marchandage" au service de ses intérêts politiques. » Mais après un premier revirement sur TikTok (qu’il qualifiait de « menace » en 2020), difficile de se projeter. « On peut envisager qu’il y ait un pacte de non-agression entre les plateformes numériques et des accords sur la publicité, y compris politique, imagine Alexandre Eyries. Dans tous les cas, les dessous seront très juteux sur le plan financier. » En attendant, les Américains ont retrouvé leurs vidéos de danse et leurs recettes de cuisine. « Thank you Donald. »