Investiture de Donald Trump : Pour les services secrets français, « il peut y avoir une tentation d’être plus prudents »
Bureau des légendes•La relation entre les services de renseignements américains et français, CIA et DGSE, est imperméable aux péripéties politiques, mais une politisation du bureau américain pourrait avoir des répercussions sur l’échange d’informationsCécile De Sèze
L'essentiel
- Le monde s’attend à une tempête avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche pour un second mandat.
- Le 47e président des Etats-Unis a promis de nombreux chamboulements faisant naître des craintes même chez ses alliés européens.
- Au niveau des services de renseignement extérieur, les relations franco-américaines sont construites pour résister à n’importe quelle vague politique, même « une grosse vague comme Donald Trump ».
Imprévisible, fantasque, économiquement agressif… L’arrivée de Donald Trump fait craindre un chamboulement des équilibres géopolitiques, même chez ses alliés. Des rebondissements qui ne devraient toutefois pas atteindre trop violemment le monde très secret des services du renseignement extérieur français.
« Les Etats-Unis sont nos alliés. Avec leurs services de renseignement, la coopération est particulièrement intense car elle renforce notre sécurité mutuelle », assurait fin novembre dans les colonnes du Point Nicolas Lerner, le directeur général de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). En effet, les relations entre services de renseignement, notamment entre deux pays alliés, sont construites pour rester hermétiques aux aléas politiques.
Des relations immuables même dans la pire des tempêtes
« Même en 2003, au pire moment des relations entre les Etats-Unis et la France [sur fond de tensions sur la guerre en Irak], le froid diplomatique n’a pas eu d’impact sur la coopération des services », rappelle Raphaël Ramos, historien, chercheur associé à l’université Paul-Valéry à Montpellier et auteur du site Intelligence Online. Martelant que lors du premier mandat de Donald Trump, le partenariat stratégique « n’a pas souffert », Nicolas Lerner ne peut « pas imaginer qu’une inflexion politique vienne fragiliser une coopération bilatérale qui remonte à la Seconde Guerre mondiale ».
En ce qui concerne nos espions (dans l’imaginaire collectif) ou les officiers de renseignement (dans le jargon du métier) là encore, ça ne changera pas grand-chose. « J’ai vécu beaucoup d’alternances dans les gouvernances en quarante ans de métier, chez nous ou ailleurs, les services ont tendance à lisser les changements de régime, on travaille sur le long terme et les vaguelettes politiques nous atteignent peu, même quand il s’agit d’une grosse vague comme Donald Trump », abonde Alain Chouet, ancien chef du service renseignement de la sécurité de la DGSE.
Certaines situations peuvent néanmoins amener les renseignements français à se montrer plus prudents. Dans un article publié sur le site Rubicon, Clément Renault, historien des relations internationales et chercheur « renseignement, guerre et stratégie » à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (Irsem) rappelle « la gestion très problématique et désinvolte des informations sensibles ou classifiées » par Donald Trump. Comme lorsque ce dernier a dévoilé pendant son dernier mandat des informations sur une source d’un partenaire au sein de l’État islamique au ministre russe Sergueï Lavrov. Ou les 325 documents « classifiés » problématiques retrouvés dans sa résidence de Mar-a-Lago et pour lesquels il était poursuivi jusqu’en novembre 2024.
Une politisation potentiellement déstabilisante
Outre cette attitude peu consciencieuse à l’égard d’informations sensibles, sa défiance envers ses propres services de renseignement pourrait changer la donne. Donald Trump n’a jamais cherché à cacher son aversion à l’égard des services secrets et de ce qu’il appelle le « Deep State » (Etat profond). Il a d’ailleurs placé John Ratcliffe à la tête de la CIA, un homme « avec peu d’expérience en la matière, loyal et dévoué à Donald Trump », et « ça peut avoir un impact à terme », souligne Raphaël Ramos.
Sa nomination suscite des craintes sur la politisation du renseignement qui pourrait mener à des purges, des démissions ou encore « des retards, des impossibilités de s’engager, d’obtenir des arbitrages », imagine Clément Renault. Sur un plus long terme, « les services alliés pourraient être tentés d’être plus prudents dans le partage des informations avec les Etats-Unis par peur qu’elles soient instrumentalisées pour des intérêts politiques », met en garde Raphaël Ramos. Pire, la relation de confiance entre services de renseignement pourrait être mise à l’épreuve en raison des agissements de l’exécutif américain.
Intérêts mutuels communs
Le « précédent des armes de destruction massive irakiennes de 2002 [mensonge qui sera le déclencheur de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis] a durablement impacté la crédibilité du renseignement américain », nuance néanmoins l’historien, s’interrogeant ainsi sur « les répercussions que pourrait engendrer du renseignement déclassifié par une équipe Trump » sur des sujets sensibles comme celui de la Chine par exemple.
Notre dossier sur Donald TrumpGlobalement, les Etats-Unis restent toutefois notre allié. Pour que les relations des renseignements soient réellement altérées, il faudrait que l’Amérique de Donald Trump « entre en confrontation économique, technologique, militaire avec la France ou l’Europe et alors, on aurait affaire à un pays hostile et ça changerait la donne », pousse Alain Chouet qui écarte cette hypothèse car « l’administration américaine a besoin d’échanges apaisés avec les Européens ».
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