Sommet Biden – Xi : Les deux géants renouent surtout « à des fins de politique intérieure »
Décryptage•Les deux présidents ont affiché mercredi le retour au dialogue des Etats-Unis et de la ChineDiane Regny
L'essentiel
- Un sommet de quatre heures a rassemblé Joe Biden et Xi Jinping mercredi, après un an de relations poussives.
- Le dirigeant chinois s’est rendu en Californie, aux Etats-Unis, afin de renouer un dialogue difficile depuis plusieurs années.
- Une façon pour les homologues d’envoyer un message à leur population respective mais aussi de prendre la température d’une relation basée quasi exclusivement sur la compétition.
Entre poignées de main et petite balade (pas main dans la main), Joe Biden et Xi Jinping ont affiché ce mercredi le retour au dialogue entre les Etats-Unis et la Chine. Ce face-à-face, particulièrement commenté, s’inscrit dans un contexte international très tendu, déchiré par la guerre en Ukraine et, plus récemment, par celle qui oppose le Hamas et Israël au Proche-Orient. Meilleurs ennemis, Pékin et Washington continuent au fil des ans leur danse de la dissension, mâtinée de courtes séquences de rapprochement.
La rencontre s’est déroulée à une quarantaine de kilomètres de San Francisco, dans une résidence cossue. Depuis un an, les communications militaires de haut niveau sont coupées entre les deux pays et le dialogue s’avère épineux depuis plusieurs années. Ce rapprochement, plus affiché que réel, est le miroir d’une opportunité pour chacun des dirigeants. « Le début d’une période très électorale aux Etats-Unis et les problèmes intérieurs que rencontre Xi se conjuguent et amènent les deux dirigeants à vouloir apparaître comme des leaders sur la scène internationale », décrypte Jean-Vincent Brisset, chercheur associé à l’IRIS.
Se parler pour mieux se jauger
Le président chinois fait en effet face à de « fortes oppositions politiques », deux ministres ont « disparu du paysage », celui des Affaires étrangères au début de l’été puis celui de la Défense en septembre, rappelle le spécialiste de la Chine. A cela s’ajoute une situation économique bien moins florissante qu’à l’âge d’or de l’Empire du milieu. Outre-Atlantique, Joe Biden s’apprête à retourner dans l’arène de la présidentielle – qu’on sait particulièrement brutale aux Etats-Unis. Et Washington « ne peut pas faire l’impasse d’un dialogue avec la Chine, devenue au cours des vingt dernières années un acteur de poids », rappelle Alessia Lefébure, sociologue et autrice de Les mandarins 2.0, Une bureaucratie chinoise formée à l’américaine.
Des séismes géopolitiques secouent le monde à répétition, du Proche-Orient à l’Europe de l’Est et poussent les deux puissances à communiquer, afin de jauger la position de l’autre mais aussi de tenter, bien évidemment, de l’influencer. « Les deux parties ont intérêt à garder le canal de la communication ouvert ce qui leur permet de négocier leur position respective et d’éventuelles alliances au gré de l’évolution de la situation mondiale », analyse la spécialiste qui a vécu en Chine comme aux Etats-Unis. « On est bien plus dans la communication que dans un tournant dans les relations », glisse Jean-Vincent Brisset.
Une « réaffirmation de la compétition »
Cette rencontre ne marque donc pas un changement dans la dynamique sino-américaine. Elle est plutôt « le signe de la nécessité de la reprise d’un dialogue diplomatique et la réaffirmation de la compétition entre les deux puissances », note Alessia Lefébure, qui ajoute que les « déclarations parfois agressives que chacun des leaders prononce » sont « essentiellement » déclamées « à des fins de politique intérieure ». Ainsi, Joe Biden a qualifié son homologue chinois de « dictateur » à l’issue de leur rencontre.
Le ministère des Affaires étrangères chinois s’en est ému, évoquant un discours « extrêmement erroné » et une « manipulation politique irresponsable ». Mais, en réalité, le chef d’Etat séduit ainsi l’électorat américain qui est « très anti-chine » sans mettre réellement en délicatesse Xi puisque « les Chinois n’auront pas connaissance de cette déclaration », selon Jean-Vincent Brisset. Concrètement, la visite n’a accouché que de signaux en faveur d’une meilleure communication. Ainsi, les dirigeants ont acté la reprise des communications militaires de haut niveau, suspendues depuis un an, et le président américain a affirmé qu’ils s’étaient mis d’accord pour s’appeler « directement » et être, le cas échéant, « entendus immédiatement ».
Jeu de pouvoir, des exportations aux votes de l’ONU
« Il y a toujours eu de la communication, même si c’était quelques fois plus rugueux », tempère toutefois Jean-Vincent Brisset. Les éternels rivaux sont bien trop conscients de leur interconnexion pour cesser d’échanger. Le véritable jeu de pouvoir se situe plutôt du côté économique pour les Etats-Unis, qui continuent à tenir la Chine à la gorge dans ce domaine. « Pékin est très vulnérable aux sanctions américaines – contrairement à la Russie qui est bien plus autosuffisante –, les Etats-Unis étant son principal acheteur », rappelle le chercheur associé à l’IRIS.
Quant à la Chine, « elle théorise depuis quelques années, via un grand nombre d’intellectuels et universitaires chinois, une vision des relations internationales radicalement alternative à celle de l’Occident » et se « positionne en chef de file d’un grand nombre de pays du "sud global" qui s’opposent à l’ordre mondial hérité du colonialisme ou de la guerre froide », décrypte Alessia Lefébure. Bien plus que dans les déclarations et les poignées de main devant des flashs crépitants, le rapport de pouvoir s’analyse à l’aune des exportations et des votes à l’ONU, où de nombreux pays suivent aujourd’hui bien plus la Chine que l’Occident.
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