Daesh et les journalistes: Des assassinats à la propagande

MEDIASReporters sans frontières fait le point sur les relations du groupe islamiste aux médias…
Audrey Chauvet

A.Ch.

Un bon journaliste n’est pas nécessairement un journaliste mort pour Daesh. Si certains figurent sur une liste noire, d’autres sont les bienvenus sur les terres du groupe islamiste, sous réserve de se soumettre aux exigences du « service de presse » officiel du « califat ». Les otages sont eux transformés en moyen de pression ou de communication ou avec les pays occidentaux. Daesh dispose également de ses propres équipes pour diffuser ses images de propagande dans le monde. Reporters sans frontières publie ce lundi un rapport sur la stratégie de communication mûrement réfléchie de Daesh et ses liens ambivalents avec la presse.

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Les cibles à abattre

Une liste de noms, parmi lesquels figurait celui de Stéphane Charbonnier, alias Charb, exécuté en janvier dernier dans les locaux de Charlie Hebdo. L’écrivain Salman Rushdie et le dessinateur Lars Vilk, auteur danois de caricatures de Mahomet, figuraient également dans la liste noire publiée dans Inspire, la revue officielle d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa). Dans le numéro paru à l’été 2015, la menace est toujours valable : c’est le dessinateur Luz, ancien de Charlie Hebdo, qui est visé. « A Charlie Hebdo… Si vous recommencez, nous reviendrons », avertit le magazine.

« Les journalistes qui écrivent contre l’État islamique sont considérés comme des soldats ennemis et, à ce titre, comme des cibles à abattre », explique le chercheur Romain Caillet, spécialiste du djihadisme, à Reporters sans frontières. Les premières victimes sont les journalistes locaux : en juin 2014, treize journalistes ont été tués après la prise de Mossoul (Irak).

Les otages

Les images de décapitation ont marqué les esprits, mais les journalistes pris en otage ne sont pas toujours destinés à mourir dans des conditions barbares. Reporters sans frontières explique que les otages sont déjà une source de revenus non négligeable : les rançons peuvent s’élever jusqu’à dix millions de dollars. Les exécutions n’arrivent que lorsque les négociations échouent ou pour en faire un symbole politique, comme dans le cas de l’Américain James Foley.

Toutefois, il semble que la prise d’otages ne soit plus une fin en soi pour Daesh, qui préfèrerait réguler ses relations avec la presse via une série de « onze commandements » auxquels les journalistes doivent se soumettre. Le premier de ces « commandements » est de prêter allégeance au « calife Abou Bakr al-Baghdadi » et de travailler sous le contrôle du service de presse de Daesh. Toute infraction à ces règles peut valoir la décapitation et la crucifixion : des journalistes locaux ont été exécutés pour ne pas s’être soumis aux règles de Daesh.

Un otage britannique, le journaliste John Cantlie, a été lui utilisé par Daesh pour produire des reportages encadrés par ses geôliers. Dans un récent numéro de Dabiq, le magazine en anglais de Daesh, l’ancien reporter du Sunday Times et de la BBC signe une « revue de presse internationale » mais porte toujours une combinaison de prisonnier.

Les méthodes de propagande

Inspire, Dabiq, Dar al-Islam… Daesh a ses propres organes de presse et ses équipes de communication pour diffuser la propagande islamiste. Destinés à recruter dans les pays occidentaux, le contenu de ces magazines est « validé au plus haut niveau de Daesh », explique Reporters sans frontières. La « Fondation Base » est l’organe chargé d’encadrer les parutions dans les zones contrôlées par Daesh, où télévision, radio et presse dépendent directement du « califat », et les centaines de sites web relayant la propagande djihadiste.

Les journalistes enrôlés pour servir Daesh sont traités comme des « émirs » et travaillent dans des conditions matérielles confortables. Chaque jour, Daesh diffuse plus de « quarante pièces de propagande », chiffre Reporters sans frontières. En une année, Daesh produit environ 15.000 documents, dont 800 vidéos et une vingtaine de magazines en onze langues. La plupart de ces documents dépeignent une vie idéale dans le « califat » destinée à convaincre les pays voisins des bienfaits du gouvernement de Daesh. Les images de violence pure ne représentent que 2,13 % des documents diffusés, mais elles deviennent très vite virales sur Internet et remplissent ainsi pleinement leur rôle : recruter de nouveaux djihadistes attirés par la violence et faire peur au monde entier.