DéclicMais pourquoi la Chine n’a-t-elle pas encore déclaré la guerre à Taïwan ?

Tensions à Taïwan : Mais pourquoi la Chine n’a-t-elle pas encore déclaré la guerre à Taïpei ?

DéclicPlusieurs éléments empêchent Pékin de se lancer dans une guerre face à Taïwan, plus hasardeuse qu’il n’y paraît
Xavier Regnier

Xavier Regnier

L'essentiel

  • La Chine a lancé jeudi des exercices militaires et des manœuvres aériennes près de Taïwan qui « constituent un sérieux avertissement » et menacent d’une invasion sanglante.
  • Toutefois, ces manœuvres sont d’une ampleur équivalente à celles lancées lors de la visite de Nancy Pelosi sur l’île en 2022. Ce voyage avait scandalisé Pékin, qui impose à ses partenaires d’adopter le « principe d’une seule Chine ».
  • Malgré la supériorité militaire écrasante de la Chine sur Taïwan, plusieurs facteurs empêchent Pékin de lancer un assaut terrestre. Militairement, diplomatiquement et même économiquement, une guerre serait « très coûteuse » pour la Chine, explique Jean-Vincent Brisset, chercheur associé à l’Iris.

Une dernière répétition avant, peut-être, de passer à l’acte. La Chine a lancé jeudi des manœuvres militaires, nommées « Joint Sword-2024A », autour de Taïwan afin de vérifier la « capacité de prendre le pouvoir et de frappes conjointes », a indiqué le porte-parole de l’armée chinoise. En clair, Pékin menace de lancer l’invasion de l’île, qui lui résiste depuis 1949.

Mais cela déjà de nombreux mois que l’armée chinoise multiplie les violations de l’espace aérien ou maritime de Taïwan régulièrement. Présentées comme une « punition sévère » au discours d’investiture du président taïwanais Lai Ching-te, ces nouvelles manœuvres traduisent-elles une réelle hausse du ton ? Qu’est-ce qui retient Pékin de déclencher un conflit ? Quelle pourrait être l’étincelle mettant le feu aux poudres ? 20 Minutes fait le point avec Jean-Vincent Brisset, chercheur associé à l’Iris et spécialiste de la Chine.

Les manœuvres chinoises montrent-elles une vraie hausse des tensions ?

Les mots sont durs, menaçants, destinés à impressionner. L’exercice chinois constitue un « sérieux avertissement » aux « séparatistes » de l’île qui finiront « dans le sang », a affirmé jeudi Wang Wenbin, un porte-parole de la diplomatie chinoise. Pékin a même accusé Lai Chang-te d’être responsable des tensions et de pousser le pays « vers la guerre ». Néanmoins, « il n’y a rien de nouveau dans ces exercices », estime Jean-Vincent Brisset.

Jeudi, le ministère de la Défense de Taïwan a annoncé avoir détecté 49 avions chinois, « dont 35 ont franchi la ligne médiane », coupant en deux le détroit de Taïwan, entre l’île et le continent. « Ça a l’air d’être de la même ampleur qu’en 2022 lors de la visite de Nancy Pelosi », alors présidente de la Chambre des représentants américaine, reprend l’expert. Pékin, qui « interfère dans tous les événements de la politique à Taïwan », a déclenché ces exercices « sans surprise », comme pour maintenir la pression.

Pourquoi Pékin ne lance-t-elle pas d’offensive ?

« Sur les moyens militaires, il n’y a pas photo », la Chine est clairement supérieure. L’armée chinoise compte plus de deux millions d’hommes, un nombre largement supérieur d’avions, de navires et de chars à celui de Taïwan, et Pékin possède l’arme atomique. Sur le papier, c’est vite réglé. Pour autant, Taipei est préparée depuis soixante-dix ans à cette éventualité. « Défendre une île, c’est facile, une invasion serait très coûteuse sur le plan militaire », table Jean-Vincent Brisset.

D’autant que Taïwan pourrait ne pas se battre seul, le pays entretenant de fortes relations avec Washington. « Il n’y a pas d’alliance formelle » entre les deux pays, en raison de l’ambiguïté diplomatique des Etats-Unis, mais « des textes qui les amèneraient à réagir », tempère le chercheur associé à l’Iris. Une prise de Taïwan par la Chine serait aussi « insupportable physiquement pour le Japon, puisque 40 % du trafic maritime mondial passerait dans une zone contrôlée par Pékin ».

Plus globalement, même sans entrer dans le conflit directement, une agression chinoise serait « aussi coûteuse vis-à-vis de la communauté internationale ». Largement intégrée dans le marché mondial, « la Chine n’a pas du tout la résilience de la Russie » en cas de mesures de rétorsion économiques.

Quelle pourrait être l’étincelle qui met le feu aux poudres ?

Pour passer à l’acte, il faudrait donc que Pékin soit plus que sûre de son coup. Jean-Vincent Brisset évoque la « seule ligne rouge » jamais tracée par la Chine : « ça fait plus de vingt ans que Pékin affirme qu’une déclaration d’indépendance formelle entraînerait une attaque. » Lai Ching-te, qualifié par Pékin de « dangereux séparatiste », se définissait avant son élection « d’artisan pragmatique de l’indépendance », mais avait adouci récemment ses positions.

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Il existe aussi une possibilité d’assister à un « déclenchement irrationnel du conflit », reconnaît Jean-Vincent Brisset. Confronté à la résistance démocratique à Hong Kong et à des manifestations durant l'épidémie de Covid-19, Xi Jinping « connaît des problèmes de politique intérieure ». « Le risque, c’est qu’il ait la tentation de ressouder le pays derrière lui en provoquant un conflit, comme l’Argentine avec les Malouines », pointe l’expert. L’issue serait alors bien hasardeuse pour celui qui se voit en « président d’une seule Chine ».