Mali: Tout comprendre de la crise qui frappe le pays
DÉCRYPTAGE•epuis le 22 mars dernier et le renversement du président Amadou Toumani Touré par une junte militaire, le pays est plongé dans la tourmente. Retour sur les événements...Bérénice Dubuc
Que s’est-il passé?
Le 22 mars dernier, un coup d'Etat militaire est perpétré à Bamako contre le président Amadou Toumani Touré. Les putschistes du comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l'Etat (CNRDRE), emmenés par le capitaine Amadou Sanogo, qui bénéficie d'un large soutien de la rue, ont indiqué s'être emparés du pouvoir pour mettre fin au laxisme d’Amadou Toumani Touré et son incapacité à lutter contre les «hommes bleus» -la rébellion touareg- qui ont repris les armes à la mi-janvier dans le désert du Nord.
Pourquoi parle-t-on des rebelles touaregs?...
Le nord du Mali, immense territoire désertique appelé Azawad par les touaregs, est l’objet, depuis l’indépendance du pays, d’aspirations à l’autonomie portées par les rébellions touaregs, dont la principale force est le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA).
Profitant de la confusion consécutive au putsch, et notamment de la désorganisation de l'armée malienne, les rebelles ont pris les trois villes de la région -Tombouctou, Kidal et Gao. Ils ont été appuyés par des mercenaires maliens puissamment armés, venus gonfler leurs rangs après la chute du leader libyen Mouammar Kadhafi pour lequel ils oeuvraient auparavant.
Jeudi, les rebelles touaregs ont annoncé l'arrêt des opérations militaires et proclamé «l'Etat de l'Azawad». Ce vendredi, ils ont proclamé «dans un esprit de justice et de paix, l'indépendance de l'Etat de l'Azawad», selon un communiqué. Le mouvement annonce en outre reconnaître les frontières avec les Etats voisins et promet de créer un Etat démocratique fondé sur les principes de la Charte des Nations unies.
...et des islamistes?
Pour prendre les trois villes du Nord, les rebelles touaregs ont également bénéficié de l’appui de groupes armés islamistes, comme les salafistes du groupe Ansar Dine (Défenseur de la foi) du vieux chef touareg Iyad Ag Ghaly, qui entretiendrait des relations avec Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), et qui veulent imposer la charia sur tout le territoire malien.
Cette fraction islamiste serait en train de prendre le dessus parmi les différentes factions touaregs. Ansar Dine aurait ainsi pris la ville de Tombouctou. Ces groupes djihadistes semblent tentés de poursuivre l’offensive au-delà de l’Azawad. Le chef militaire d’Ansar Dine a ainsi affirmé mener une guerre «contre l'indépendance» et «pour l'Islam» ce vendredi.
Pourquoi la Cédéao est-elle impliquée?
Inquiets de l'instabilité au Mali, les 15 Etats membres de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) ont imposé des sanctions diplomatiques, commerciales et financières contre la junte au pouvoir afin de contraindre les putschistes à restaurer l’ordre constitutionnel et rendre le pouvoir aux civils. Elle réfléchit également à déployer une force de 3.000 soldats au Mali avec la double mission de rétablir l'ordre constitutionnel et stopper l'avancée des rebelles.
En conséquence, les putschistes se sont engagés à préparer une transition politique afin de remettre le pouvoir aux civils, mais n'ont fixé aucun calendrier. Les sanctions pourraient bientôt être levées car, selon l’un des médiateurs dépêchés par la Cédéao, le capitaine Sanogo «prend des mesures» et «va bientôt faire des annonces dans ce sens».
Quels sont les autres acteurs internationaux impliqués?
L'avancée des rebelles touaregs et des activistes islamistes inquiète également les puissances occidentales, et le capitaine Amadou Sanogo a lancé un appel à la communauté internationale pour aider le nouveau pouvoir malien à combattre la rébellion.
A la demande de la France, la situation a été examinée mercredi au Conseil de sécurité des Nations unies. Ce dernier a adopté une déclaration réclamant l'abandon du pouvoir par les putschistes à Bamako et la fin des hostilités dans le Nord du pays. Les Etats-Unis ont de leur côté suspendu leur aide de 60 à 70 millions de dollars au Mali et envisagent de prendre de nouvelles mesures. L'Union africaine (UA) a également imposé des sanctions aux putschistes de Bamako - interdiction de voyager et gel des comptes du capitaine Amadou Sanogo.
Quelle est la situation sur le terrain?
Du fait des sanctions imposées par la Cédéao, les Maliens se sont rués pour faire des réserves d'essence et d'argent liquide. Dans les villes du nord aux mains des rebelles, des factions salafistes, qui revendiquent l'application de la charia, ont imposé leurs règles. Bars et hôtels servant de l’alcool sont fermés, ou ont été saccagés, et des témoins indiquent que la musique occidentale est désormais interdite à la radio et que seules les tenues traditionnelles étaient autorisées dans les rues. A Gao, la population commence à manquer de nourriture, de fioul et de médicaments.
Selon l'ONG Oxfam, plus de 200.000 Maliens ont dû fuir leurs maisons depuis janvier. Ils sont partis vers les pays voisins, et l'exode des réfugiés pourrait s'aggraver. «Ils ont un besoin urgent de vivres, d'eau, de matériel sanitaire et d'abris», a-t-elle déclaré.