REPORTAGEEgypte: La révolution laisse les chrétiens au bord du chemin

Egypte: La révolution laisse les chrétiens au bord du chemin

REPORTAGEManifestations qui virent au massacre, entrée en politique des partis islamistes, rumeurs... Les Chrétiens d'Egypte, qui représenteraient 10% de la population, vivent dans la peur du lendemain...
Armelle Le Goff, au Caire

Armelle Le Goff, au Caire

De notre envoyée spéciale en Egypte

Autour de la petite Eglise El Moalaka, dans le quartier de Mar Girgis, au Caire, c’est la peur qui domine. Peur du lendemain, peur de la montée en puissance des partis islamistes, peur, au quotidien, de l’insécurité liée à leurs statuts de minorité, les Chrétiens d’Egypte font profil bas. «On attend, confie cette jeune femme de 35 ans, dans l’arrière-boutique de son petit commerce de chants liturgiques. Tout dépendra de l’élection présidentielle et du candidat qui sera élu. Evidemment, moi, j’espère un Président civil [pas laïc] mais rien ne dit que cela sera le cas…».

Le drame de Maspero dans toutes les têtes

Tous ici ont en tête le drame de Maspero du 9 octobre dernier, lorsqu’une manifestation devant le siège de la télévision d’Etat, au Caire, a dégénéré. Les affrontements entre manifestants et forces de l'ordre, à l’issue de ce rassemblement organisé pour exiger des explications après l'incendie criminel des églises de Sohag et Assouan, s’étaient alors soldés par environ 25 morts et 200 blessés. Si d’aucuns avaient réussi à occulter quelque peu l’événement, le massacre de Port Saïd, le 1er février, qui, selon les familles des victimes aurait fait 175 morts, n’aura fait que le raviver. Ces derniers mois, l’Egypte vit au rythme des mauvaises nouvelles. «Dans le sud du pays, des jeunes filles sont enlevées et violées, puis on incendie la maison de leurs familles pour les forcer à partir», croit savoir Yvonne, qui vit à Shobra, un quartier populaire de la capitale. Difficile d’avoir des preuves formelles de ce genre d’exactions, mais une chose est sûre: elles suscitent la peur au sein de la communauté chrétienne d’Egypte, déjà sous-représentés politiquement. «J’ai peur que l’on devienne comme la République islamique d’Iran», confie Yvonne. Très méfiante, elle refuse d’être prise en photo, de peur d’être reconnue et prise pour cible.

«Je n’aime pas cette Egypte de la violence»

A ses côtés, son amie Joumana, musulmane, plaide carrément pour Hosni Moubarak, l’ancien Président, déchu le 11 février 2011. «Je préfère un Président corrompu qu’un pays sans Président avec le bazar partout», plaisante-t-elle, avant d’ajouter plus sérieusement: «Je n’aime pas cette Egypte de la violence». Divorcée, elle refuse de porter le voile, comme le font désormais la plupart des Egyptiennes, à l’exception des chrétiennes. «Je m’habille d’une façon très respectueuses, explique-t-elle. Je ne vois pas pourquoi je devrais en plus me couvrir la tête». Une position qu’elle dit devoir sans cesse défendre auprès de son entourage, qui aimerait bien la voir coiffée.

Face à ce quotidien imprévisible et difficile, chacun se prépare une porte de sortie, à l’image de Irini, jeune chrétienne qui bavarde avec ses amies sur les marches de l’Eglise Mar Girgis. «J’ai une carte verte [qui permet de vivre aux Etats-Unis]. Pour l’instant, je reste en Egypte, c’est mon pays et je dois finir mes études de Lettres, mais si jamais c’est un Salafiste qui est élu à la tête du pays, je partirai». «On pensait que la Révolution allait transformer l’Egypte positivement, mais, aujourd’hui, on a plutôt l’impression d’avoir reculé», observe son amie Diana. Suspendue au seuil du changement, la révolution égyptienne n’a pas servi tout le monde.