Kim Jong-il, dirigeant fantasque d'un pays reclus
PORTRAIT•Perçu à l'étranger comme un dirigeant autoritaire et dangereux, le «Cher Leader» était érigé en demi-dieu dans son pays...B.D. avec Reuters
Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-il est décédé, a annoncé ce lundi matin la télévision d'Etat. Erigé en demi-dieu dans son pays par un culte de la personnalité propre aux régimes autocratiques, le «Cher Leader» était généralement perçu à l'étranger comme un dirigeant fantasque et d'autant plus dangereux que Pyongyang possède la bombe atomique.
>> Suivez les dernières évolutions de la situation en Corée du Nord en direct par ici
Parvenu au pouvoir en 1994 à la mort de son père Kim Il-sung, fondateur de la République populaire et démocratique de Corée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, ce petit homme joufflu au costume invariablement gris-vert, aux chaussures compensées et à la coiffure caractéristique, a été décrit aussi bien comme un dictateur impitoyable affameur de son propre peuple que comme un charmant compagnon de table, amateur de femmes, de bons vins et de cinéma.
Si Hollywood l'a dépeint en bouffon comique dans certains de ses films, l'ancien président George W. Bush l'a en revanche qualifié de chef d'un «avant-poste de la tyrannie». Durant ses 17 années au pouvoir, la Corée du Nord a sombré dans la pauvreté et la famine pendant que le régime développait un programme d'armement nucléaire et se dotait de missiles destinés à menacer la Corée du Sud et le Japon.
Propagande
Il demeure l'un des chefs d'Etat les plus énigmatiques sur la scène internationale, s'exprimant rarement en public et ne voyageant quasiment jamais à l'étranger. Sa biographie officielle est nourrie de propagande mais elle comporte peu de détails concrets.
D'après cette biographie officielle, Kim est né le 16 février 1942 dans l'épaisse forêt qui recouvre le mont sacré Paekdu, dans un camp situé près de la frontière chinoise, pendant que la guérilla coréenne combattait les Japonais. Des experts étrangers pensent plutôt que le «Cher Leader» est né à Vladivostok, dans l'Extrême-Orient soviétique aujourd'hui russe, et qu'il se trouvait en Chine pendant la guerre de Corée (1950-1953).
D'après la propagande, il manifeste un esprit révolutionnaire dès l'école primaire en prenant la tête de marches en direction des champs de bataille contre l'occupant japonais. Le temps de parvenir au collège, il est devenu un ouvrier exemplaire capable de réparer des camions et des moteurs électriques. Il se rend ensuite à l'université Kim Il-Sung où il étudie les grands penseurs marxistes ainsi que les théories révolutionnaires de son père, poursuit sa biographie officielle. Là encore, les experts pensent plutôt qu'il a vécu une vie de privilégié à Pyongyang après le retour de sa famille dans la péninsule divisée.
Attentats et enlèvements
Tandis que son père est installé au pouvoir par les Soviétiques, Kim Jong-il passe certainement ses jeunes années en Chine afin d'y recevoir une éducation et d'éviter les dangers de la guerre de Corée (1950-1953). Il adhère au Parti des travailleurs de Corée en 1964 et gravit rapidement les échelons. En 1973, il est déjà responsable de l'organisation et de la propagande du parti et l'année suivante, son père le désigne comme son dauphin. Kim Jong-il étend progressivement son influence dans le parti et, en 1980, il intègre le Politburo et la commission militaire.
Selon des experts du renseignement, il est le commanditaire en 1983 d'un attentat à la bombe en Birmanie dans lequel meurent 17 responsables sud-coréens, puis, en 1987, de le destruction d'un avion de ligne de la compagnie sud-coréenne, provoquant la mort de 115 personnes. Il est aussi soupçonné d'avoir organisé l'enlèvement de Japonais pour obtenir des rançons, de transformer les ambassades nord-coréennes à l'étranger en réseau de distribution de drogues et de faire de la Corée du Nord une source de fausse monnaie.
Selon des personnes l'ayant côtoyé avant de fuir le pays, Kim aimait assister à des spectacles privés de danseuses russes, il s'était constitué une cave impressionnante de 10.000 bouteilles et il ingurgitait une quantité impressionnante de homards et de cognac. Les médias officiels nord-coréens dressent un portrait bien différent. Selon eux, Kim Jong-il était pilote de chasse, alors même qu'il empruntait systématiquement des moyens de transport terrestres pour ses rares voyages à l'étranger.
Réformes et ouverture
Le «Cher Leader» aurait aussi composé plusieurs opéras, produit des films et accompli la prouesse sportive inégalée de réussir onze trous en un pour son premier parcours de golf. Lorsqu'il succède à son père en 1994, les spécialistes du régime nord-coréen doutent alors de sa capacité à se maintenir à la tête du pays en raison de la puissance acquise par les chefs militaires.
L'économie, déjà anémique, tombe en lambeaux en raison de la fin de la Guerre froide et de la disparition des traditionnels partenaires commerciaux. De mauvaises récoltes et des inondations provoquent une famine responsable de la mort d'un million de personnes dans les années 1990. Pourtant, Kim affirme son pouvoir. Il se permet même de mettre en oeuvre des réformes destinées à instaurer une dose infime de libéralisme dans une économie entièrement planifiée.
Kim Jong-il disposait d'une quantité de titres en Corée du Nord, mais pas celui de président. Parvenu au pouvoir, il a attribué à titre posthume à son père le titre de président éternel. Lui s'est contenté de présider la Commission de défense nationale, le véritable coeur du pouvoir en Corée du Nord, avec le grade de commandant suprême de l'Armée populaire de Corée.
Le 15 juin 2000, il surgit sur la scène internationale en accueillant le premier sommet entre dirigeants des deux Corées à l'occasion de la visite du président sud-coréen Kim Dae-jung à Pyongyang. L'un des Etats les plus reclus de la planète semble alors enclin à s'ouvrir au monde. Peu après, Kim reçoit la secrétaire d'Etat américaine Madeleine Albright et le président russe Vladimir Poutine. Mais l'embellie diplomatique est de courte durée.
Armes nucléaires
En 2002, les Etats-Unis annoncent que la Corée du Nord a reconnu l'existence d'un programme d'armement nucléaire en violation d'un accord datant de 1994. La Corée du Nord expulse les experts de l'Agence internationale de l'Energie atomique (AIEA) en décembre 2002 et annonce le mois suivant qu'elle se retire du Traité de Non-Prolifération (TNP). En février 2005, elle annonce qu'elle dispose d'armes nucléaires puis, en octobre 2006, elle ébranle ses voisins en faisant exploser un engin nucléaire. Elle procédera à un nouvel essai en mai 2009. Cette attitude lui vaut des sanctions de la part des Etats-Unis.
Kim Jong-il aurait déclaré à des visiteurs que la dernière volonté de son père était de voir la péninsule coréenne dénucléarisée. Lui-même veut agir en ce sens mais souhaite auparavant voir les Etats-Unis traiter son pays avec respect, selon cette même version. Les tensions montent encore d'un cran en 2010 sur la péninsule coréenne. Un navire de guerre sud-coréen est d'abord torpillé et 46 marins meurent. Séoul accuse Pyongyang, qui dément. Quelques mois plus tard, le Nord bombarde une île du Sud, première attaque de ce type contre des civils depuis la guerre de Corée.
Lors de ses apparitions cette année, Kim semblait en meilleure santé et il paraissait avoir repris du poids depuis l'attaque qu'il aurait subie en 2008. Il s'est rendu en Chine à deux reprises et a effectué sa première visite en Russie depuis près de 10 ans. Kim Jong-il avait trois fils connus. Le plus jeune, Kim Jong-un, appelé à lui succéder, est désormais appelé «le grand héritier».