Côte d'Ivoire: Pourquoi la France est-elle intervenue?

Côte d'Ivoire: Pourquoi la France est-elle intervenue?

DECRYPTAGE – Elle a franchi un pas en engageant des hélicoptères contre les forces de Laurent Gbagbo lundi soir...
Catherine Fournier

Catherine Fournier

Il y aura un avant et un après 4 avril 2011 dans les relations franco-ivoiriennes. Lundi soir, la France a franchi un pas en Côte d'Ivoire en engageant des hélicoptères contre les forces de Laurent Gbagbo à Abidjan. Les derniers bastions du président sortant, blindés, lance-roquettes et émetteurs de la radio télévision ivoirienne (RTI), ont été bombardés.

Depuis un certain temps, la France veillait pourtant à garder ses distances avec son ancienne colonie, échaudée par les évènements de 2004, où il avait fallu évacuer en urgence les ressortissants français. Et pas plus tard qu’en janvier dernier, Nicolas Sarkozy avait déclaré à propos des évènements en Tunisie et en Algérie: «La puissance coloniale (...) est toujours illégitime à prononcer un jugement sur les affaires intérieures d'une ancienne colonie.» Alors, qu’est-ce qui a précipité cette intervention militaire? 20minutes.fr fait le point.

La résolution 1975 de l’ONU

La France affirme agir à la demande de l'Organisation des nations unies, en application de la résolution 1975 du Conseil de sécurité votée la semaine dernière. L'Elysée a ainsi publié des lettres échangées entre Nicolas Sarkozy et Ban Ki-moon , le secrétaire général de l'ONU déclarant qu'il était «urgent» de lancer des opérations pour mettre hors d'état de nuire des armes lourdes utilisées contre la population civile. C’est malgré tout la France qui est à l’origine de cette résolution, avec le Nigéria. Il faut aussi rappeler qu’Alassane Ouattara est reconnu comme le vainqueur de l’élection présidentielle par la communauté internationale (ONU, Union africaine et Cédéao).

Les forces de l’Onuci mal équipées

Si numériquement, elles sont bien plus nombreuses (12.000 hommes) que les forces françaises de la Licorne (1.650 hommes), elles restent militairement plus faibles. «Ses soldats, originaires du Bangladesh ou du Nepal, ne sont pas très bien équipés ni très aguerris», souligne Antoine Glaser, ancien directeur de la Lettre du continent, et spécialiste de la Françafrique. Pressée par Paris, l’Onuci (l'Organisation des nations unies en Côte d'Ivoire) aurait ainsi renâclé à intervenir, contraignant la France à passer par le Conseil de sécurité pour qu’une action soit menée, selon Vincent Jauvert, journaliste au Nouvel Observateur.

La protection des civils, dont les ressortissants français

De l’avis de Michel Galy, politologue et spécialiste de la Côte d'Ivoire au Centre d'études sur les conflits, deux évènements ont précipité l’intervention militaire: les déclarations anti-françaises du clan Gbagbo et l’enlèvement de deux Français lundi soir. L’Hexaone souhaite éviter le scénario de 2004 et une évacuation massive des ressortissants français et étrangers, compliquée à mettre en place. Les ponts menant au quartier de Cocody, où vivent un certain nombre d’entre eux, sont en effet occupés par des partisans de Gbagbo, indique le Figaro. Impossible d’y accéder sans un recours à la force.

En outre, les difficultés rencontrées par les forces pro-Ouattara à Abidjan, confrontées à l’arsenal militaire encore puissant du président sortant, ont fait craindre aux autorités françaises une guerre civile entre les deux camps, selon Yves Boyer, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique. Or, la France ne tient pas à se voir reprocher son manque d’intervention, comme ce fut le cas au Rwanda. Pour autant, «la menace de guerre civile n’est pas écartée», et ce même si Gbabgo rend les armes, prévient Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris, en charge de l’Afrique.

Montrer que la France est toujours influente dans la région

Selon certains observateurs, la décision française n’est pas si précipitée que cela. Même s’il a fallu faire face à un emballement de la situation, comme le rappelle Yves Boyer, d’autres y voient une volonté de «montrer que la France est encore influente en Afrique». «La Françafrique, c’est comme un gros bateau, ça ne s’arrête pas du jour au lendemain», indique Antoine Glaser, estimant que cette intervention est très risquée politiquement. Pour Michel Galy, le mobile politique, du côté français cette fois-ci, n’est justement pas à écarter. Même s’il refuse le parallèle fait avec la Libye, le spécialiste évoque pour Nicolas Sarkozy l’opportunité de s’offrir une stature d’un chef de guerre en pleine période d’impopularité.