Une mélodie belle et plaintive s’échappe de l’instrument. Les yeux clos, Nguyen Thanh Tung, 26 ans, interprète la Symphonie du pays, un air composé par son maître, Xuan Khai, au lendemain de la guerre du Vietnam, il y a trente ans. Une corde tendue entre deux tiges, et un cay gay, sorte de médiator pour la pincer. Le bonheur de Tung ne tient qu’à un fil, celui du Dan Bau (monocorde), instrument très répandu au Vietnam. Aveugle depuis l’âge de 12 ans, le jeune homme doit son handicap aux épandages chimiques pratiqués par l’armée américaine pendant la guerre. Son père, ancien soldat communiste, a été contaminé par la dioxine. Ses deux enfants ont été frappés d’anomalies génétiques. Aujourd’hui, son père se sent coupable : « Si j’avais su que je portais en moi ce poison, je n’aurais pas fait d’enfant. » Un sentiment partagé au Vietnam par de nombreux parents victimes de l’agent orange. « C’est injuste, souligne Xuan Phuong Nguyen, coordinatrice à Ivry de l’association Vietnam, Les enfants de la dioxine. Ces gens ont déjà souffert de la guerre, et continuent à la subir en donnant naissance à des enfants lourdement handicapés. » Depuis trois ans, la structure fait venir en France de jeunes victimes, afin de leur proposer une aide médicale et matérielle. Elle parraine aujourd’hui près de 300 familles, dont celle de Tung. Considéré comme un petit génie du monocorde, le musicien s’est déjà produit en Belgique, en Allemagne et maintenant en France, depuis le 25 octobre. « En jouant de la musique, je dis aux Vietnamiens, victimes comme moi d’une guerre qu’ils n’ont pas connue, qu’ils ont leur place dans la société », insiste Tung, qui espère, un jour, pouvoir s’offrir un ordinateur et des logiciels de composition musicale en braille. Yaël Goosz Rens. sur le site de Vietnam, les enfants de la dioxine : http://vned.free.fr/