INTERVIEWAttentat au Mali: «Il y a de grandes chances que ce soit un cas d’autoradicalisation»

Attentat au Mali: «Il y a de grandes chances que ce soit un cas d’autoradicalisation»

INTERVIEWAprès l'attaque de mercredi soir contre l'ambassade de France à Bamako...
Propos recueillis par Bérénice Dubuc

Propos recueillis par Bérénice Dubuc

Après l’attaque de mercredi soir visant l'ambassade de France à Bamako, Dominique Thomas, spécialiste des mouvements islamistes à l’EHESS, explique à 20minutes.fr pourquoi il penche plutôt pour un acte isolé que pour une véritable attaque d’Al-Qaida au Maghreb Islamique (Aqmi).

Le terroriste de Bamako se revendique d’Aqmi mais Aqmi n’a pas revendiqué l’attentat. Qu’en pensez-vous?

Aqmi peut revendiquer cet attentat, soit par opportunisme ou parce que l’individu a bien été entraîné dans l’une de ses katiba. Cependant, pour préciser si le terroriste fait bien partie de l’organisation, il faut regrouper des éléments sur sa trajectoire: comment il a pu passer au Mali, depuis quand y était-il, y résidait-il, y travaillait-il… Mais je serais étonné qu’Aqmi revendique cette attaque.

Pourquoi?

Déjà parce que l’individu en question est tunisien. C’est très peu commun, il n’y pas eu énormément de djihadistes tunisiens ou marocains au sein d’Aqmi. Deuxième chose étonnante: qu’Aqmi l’ait envoyé lui, alors que l’organisation dispose de militants maliens, qui auraient été moins repérables à Bamako.

L’apparent amateurisme de l’opération est aussi un indice, selon vous?

Non, cela ne signifie pas qu’Aqmi n’est pas derrière l’attaque. Rappelez-vous l’attaque de l’ambassade de France à Nouakchott en août 2009: le mode opératoire était plus qu’emprunté – le kamikaze est mort et il y a eu seulement trois blessés légers – et pourtant Aqmi l’a revendiqué.
Il faut penser que le manque de matériel ou de moyens, mais aussi le fait que l’attaque vise un bâtiment officiel très protégé, limite son potentiel de réussite. De plus, si l’individu n’a pas été bien entraîné ou s’il n’est pas au point sur le maniement des explosifs, il a de grandes chances d’échouer.

Ce serait donc un acte isolé?

L‘hypothèse du simple rattachement idéologique est la plus probable. Cette attaque me fait penser à l’attentat de Stockholm du mois de décembre dernier, perpétré par un Suédois d’origine irakienne passé par la Grande-Bretagne et plusieurs pays du Moyen-Orient, et qui se revendiquait de l’Etat islamique d’Irak. Cependant, la branche irakienne d'Al-Qaida n’a jamais revendiqué l’attentat.

A Bamako, il y a de grandes chances que ce soit un cas d’autoradicalisation: un individu, déjà sympathisant, se revendique d’Al-Qaida car il estime qu’il a suivi les directives de la nébuleuse terroriste. Mais si Aqmi est bien à l’origine de l’attaque, cela montre aussi que l’organisation a beaucoup de difficulté à faire d’autres opérations que les prises d’otages.

Et, l’attaque ayant échoué, Aqmi n’aura peut-être pas intérêt à la revendiquer...

Même pour des attaques qui ont échoué, il y a revendication. Les groupes un peu structurés revendiquent toujours leurs actions dans un délai de 48 à 72 heures après l’attaque, car cela envoie un message. C’est une façon de déstabiliser la cible. Dans le cas présent, il y a forcément un effet négatif sur la situation de la France dans la région. Si après trois ou quatre jours, il n’y a pas de revendication, c’est que quelque chose ne va pas.