Kirghizstan: la mafia derrière le conflit entre les Kirghiz aux Ouzbeks
CONFLIT•Selon les spécialistes, il ne s'agit pas tant de violences ethniques que de l'oeuvre de puissants groupes criminels...C. F. avec agence
Le Kirghizstan est en proie depuis quatre jours à de violents affrontements entre les Kirghizes et Ouzbeks, poussant des dizaines de milliers de réfugiés vers l'Ouzbékistan tout proche. Qu'est-ce qui oppose ces deux ethnies? Qu'est-ce qui a provoqué ce nouveau conflit? 20minutes.fr fait le point.
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Des relations historiquement tendues
Les relations entre la minorité ouzbèke (15 à 20% de la population du Kirghizstan mais jusqu'à 40% localement) et les Kirghizes de ce pays d'Asie centrale, le plus pauvre d'ex-URSS, sont historiquement tendues. «Historiquement, les Ouzbeks sont des sédentaires et les Kirghiz des nomades, c'est un grand clivage civilisationnel», explique à l'AFP Arnaud Dubien, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). «Il y avait déjà eu des violences interethniques à Och et dans la vallée de Ferghana en 1990, avant même l'éclatement de l'URSS. A l'époque, c'était l'accès à la terre qui motivait les affrontements. Aujourd'hui, il y a aussi un sentiment chez les Ouzbeks d'être sous-représentés dans les organes de pouvoir», poursuit le spécialiste. Ces derniers s'estiment également économiquement défavorisés et victimes de discriminations. Ils demandent ainsi que leur langue soit reconnue comme langue officielle, et affirment souffrir davantage que les Kirghizes de la corruption généralisée dans le pays, notamment parce que de nombreux Ouzbeks travaillent dans le commerce.
De quoi sont partis les affrontements?
«Un prétendu viol d'une femme kirghiz par des Ouzbeks a déclenché une bagarre entre des jeunes kirghizes et ouzbeks, qui s'est transformée par la suite en émeutes interethniques dans la nuit du 10 au 11 juin à Och, deuxième ville de cette ancienne république soviétique d'Asie centrale», explique le politologue Sergueï Massoulov.
Un conflit provoqué par la mafia
Les experts sont tous d'accord sur le fait que les instigateurs de ces violences, quelle que soit leur origine, appartiennent à «des structures criminelles». Vu de l'extérieur, les récents évènements «s'apparentent à un conflit interethnique (...) que les autorités ne parviennent plus à contrôler, comme le souhaitaient ceux qui l'ont organisé», observe le journaliste russe Arkadi Doubnov, expert de l'Asie centrale. Or, à la base, «ce conflit a été inspiré par des gangs de Kirghizes très organisés et payés» pour provoquer le désordre et attiser les tensions ethniques, ajoute-t-il. Parmi les dizaines de milliers de réfugiés arrivés en Ouzbékistan, beaucoup racontent que des bandes armées constituées de Kirghiz et soutenues par des hommes en uniforme des forces régulières ont massacré les Ouzbeks.
Quel est l'objectif de ces groupes criminels?
Ils cherchent à «déstabiliser le pays et interrompre le processus politique engagé par le nouveau pouvoir», analyse Sergueï Massoulov. Ces affrontements sont les pires violences depuis la révolte d'avril (87 morts) qui a chassé Kourmanbek Bakiev et porté au pouvoir l'actuel gouvernement provisoire. Ils interviennent à deux semaines d'un référendum sur la nouvelle Constitution prévu le 27 juin.
Le président déchu derrière ces évènements?
Ces violences pourraient avoir été orchestrées par le président déchu, en fuite à l'étranger, estime Arkadi Doubnov. Car «personne d'autre que lui n'a besoin d'en profiter». Le frère de Kourmanbek Bakiev, Akhmat, «contrôlait le Sud avec l'aide d'autorités criminelles» et en particulier du chef mafieux Aïbek Mirsidikov, alias «Aïbek le noir», présenté comme le responsable des affrontements entre Kirghizes et Ouzbeks survenus fin mai à Djalal-Abad, rappelle l'analyste kirghize Sanobar Chermatova. Selon elle, «Aïbek le Noir» projetait d'ailleurs d'organiser de nouvelles violences après le 7 juin, mais dans la nuit du 6 au 7 il a été tué.