Boeing, vol au-dessus d’un nid de problèmes

Boeing : Mais y a-t-il encore un pilote dans l’avion « made in USA » ?

transport aerienPas une semaine ne passe sans qu’un nouvel accident d’avion ne concerne Boeing. Faut-il paniquer ?
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Panique à bord de Boeing ? Les appareils de l’avionneur américain enchaînent les incidents.
  • Le 737 MAX n’est plus le seul avion mis en cause, puisqu’en moins d’une semaine, un 777 et un 787 ont également connu des accidents.
  • 20 Minutes a contacté plusieurs acteurs et actrices du secteur aérien pour mesurer le degré d’inquiétude dans le monde de l’aviation.

Déjà pas rassurée de base dans un avion, Nathalie enchaîne les insomnies à quelques jours de son départ pour Rome. La quinquagénaire vient de découvrir qu’elle prendra place à bord d’un Boeing pour rejoindre la Ville éternelle, de quoi lui procurer des frissons supplémentaires. La peur de la Montpellieraine – certes quelque peu exagérée – ne vient pas de nulle part : depuis le début de l’année, les appareils du constructeur américain enchaînent les incidents – heureusement sans catastrophe en 2024.

Si le début des galères se concentrait sur le fameux 737 max, avion maudit ayant déjà causé deux crashs mortels, les accidents commencent désormais à toucher d’autres modèles. Lundi, un Boeing 787 de Latam Airlines a piqué du nez quelques secondes, suffisant pour projeter une trentaine de personnes au plafond. Vendredi dernier, c’est un 777 qui perdait une roue au décollage, ne faisant miraculeusement aucun blessé.

« Un incident d’avion n’est jamais anecdotique »

Alors docteur, c’est quoi le problème chez Boeing ? « Le problème, c’est que ce constructeur est dirigé par des financiers, et donc que les intérêts économiques peuvent parfois primer sur des enjeux de sécurité », soulève Hubert Arnould, directeur de Iaco, société de conseil spécialisée en conformité réglementaire de la sécurité de l’aviation. « Un incident n’est jamais anecdotique, même s’il ne fait pas de morts. »

Autre complication, la de certains appareils, rappelle Xavier Tytelman, ancien pilote et spécialiste en sécurité aéronautique : « Le constructeur était ultra-dominant dans les années 1980 et 1990, du coup, la plupart des vieux avions sont des Boeing, ce qui augmente le risque de problème de maintenance. » professeur à Icare Group, société de conseil spécialisée en aéronautique.

Des avions trop vieux pour ne pas avoir de soucis ?

Autre complication, la vétusté de certains appareils, rappelle Xavier Tytelman, ancien pilote et spécialiste en sécurité aéronautique : « Le constructeur était ultra-dominant dans les années 1980 et 1990. Du coup, la plupart des vieux avions sont des Boeing, ce qui augmente le risque de problème de maintenance. »

D’autant que le secteur aérien connaît une crise de main d’œuvre et de compétence parmi les techniciens et contrôleurs de sécurité, les personnes les plus à même de construire un avion – ou d’y détecter d’éventuels soucis. « Le confinement et la crise du secteur pendant deux ans ont poussé de nombreux professionnels à partir à la retraite ou à changer de voie. Or, un technicien, c’est dix ans d’étude, encore plus qu’un pilote, ça ne se remplace pas comme ça », développe Hubert Arnould. Analyse complétée par Iza Bazin, pilote et experte aéronautique : « Ce qui manque à Boeing et aux Etats-Unis, c’est du personnel compétent. Ce dernier devient rare dans l’aéronautique. »

« On se dit que les ''erreurs'' vont se multiplier »

Eva*, hôtesse souhaitant rester anonyme, témoigne : « On n’a pas vraiment peur de monter dans un Boeing, c’est un métier où il faut être rationnel. Mais depuis la reprise post-Covid, on voit bien que les cadences sont folles. Pour nous, pour les pilotes, pour tout le secteur… Tout le monde est fatigué et en surrégime, donc on se dit que les incidents et les ''erreurs'' vont se multiplier. »

Et à force, la fièvre médiatique s’emballe. Pour la roue perdue lors du décollage du 777, le problème serait davantage dû aux équipes de maintenance de la compagnie United Airlines qu’à Boeing, selon les experts chargés de l’enquête. Qu’importe, « à présent, dès qu’un incident survient sur un Boeing, on va l’imputer au constructeur à cause de son passif. Il en va de même pour le 787 qui pique du nez. Est-on certain qu’il s’agit d’un problème technique et non pas d’une erreur de pilotage ? », nuance Bertrand Vilmer.

Pas de quoi paniquer non plus

Faut-il claquer des genoux dès qu’on embarque dans un appareil de l’avionneur américain ? Pas vraiment, rassure Iza Bazin : « Que le 737 MAX ai été fait à la hâte et mal construit, oui ; mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain et avoir peur dès qu’on prend un Boeing. Pour quelques incidents, des dizaines de milliers de vols chaque jour se déroulent sans encombre. » Christophe Dewatine, Secrétaire général de CFDT Air France, ajoute : « il n’y a pas eu de consigne ou de rappel pour des vérifications supplémentaires ou des procédures particulières pour les Boeing de la compagnie. »

Bertrand Vilmer se montre également rassurant : « Le public a une mémoire très volatile. Qui se souvient du problème des surchauffes de batterie sur les Boeing 787 il y a dix ans ? Qui, aujourd’hui, parmi le grand public, sait que deux 737 MAX se sont crashés ? ».

« Boeing ne coulera pas »

Eva aussi ne voit pas de différence : « Que le public soit un peu inquiet en prenant un Boeing, O.K., mais croyez-moi, ils montent quand même. Les Français préfèrent aller à Londres dans un Boeing que de rester chez eux. » Les aéroports tricolores affichent d’ailleurs une fréquentation au beau fixe. Idem pour les prévisions de la flotte mondiale, qui devrait carrément doubler d’ici à 2050.

« Boeing ne coulera pas, les compagnies ont tout intérêt à avoir au moins deux constructeurs. Airbus ne peut pas tout gérer seul et a en plus quelques pièces en commun avec Boeing. Tout le monde est gagnant d’avoir un duopole », souligne Iza Bazin. Rassurée pour Rome, Nathalie ?