Sénégal : Le point sur le report inédit de la présidentielle
coup de tonnerre•Le président Macky Sall a annoncé le report sine die de la présidentielle prévue le 25 févrierS.A. avec AFP
L'essentiel
- Le président sénégalais Macky Sall a annoncé ce samedi le report sine die de la présidentielle prévue le 25 février, une décision sans précédent prise dans un contexte de profonde crise politique.
- Quelques heures plus tard, le ministre Secrétaire général du gouvernement sénégalais, Abdou Latif Coulibaly, a annoncé sa démission pour recouvrer sa « pleine et entière liberté ».
- L’opposant au pouvoir, Khalifa Sall, ainsi que les Etats-Unis ont fait part de leurs inquiétudes à la suite de cette décision.
C’est une crise politique sans précédent qui agite le Sénégal. Le chef de l’Etat sénégalais Macky Sall a annoncé ce samedi le report sine die de la présidentielle prévue le 25 février. C’est la première fois depuis 1963 qu’une présidentielle au suffrage universel direct est reportée dans le pays ouest-africain présenté comme un îlot de stabilité sur le continent.
20 Minutes fait le point sur cette décision et les réactions qu’elle a suscitées.
Qu’a annoncé le président sénégalais Macky Sall ?
Ce samedi, le chef de l’Etat sénégalais, élu en 2012 et réélu en 2019, a annoncé le report des élections dans une brève intervention à la télévision nationale, quelques heures avant l’ouverture officielle de la campagne dimanche (à minuit, heure locale).
« J’ai signé le décret du 3 février 2024 abrogeant le décret » du 26 novembre 2023 fixant la présidentielle au 25 février 2024, a-t-il déclaré. « Notre pays est confronté depuis quelques jours à un différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges », a-t-il dit.
Macky Sall a réitéré son engagement à ne pas être candidat. Le chef d’Etat avait promis fin décembre et à plusieurs reprises de remettre début avril le pouvoir au président élu. Il a désigné son Premier ministre Amadou Bâ comme candidat du camp présidentiel. Ce choix a profondément divisé son camp.
Quelles sont les raisons invoquées par le président ?
Macky Sall a affirmé que le Sénégal ne pouvait « se permettre une nouvelle crise » après des troubles meurtriers en mars 2021 et juin 2023 et a annoncé « un dialogue national ouvert, afin de réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive ». L’ajournement est annoncé sur fond de conflit entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, qui a validé en janvier vingt candidatures, un record.
Le Conseil constitutionnel a exclu du scrutin des dizaines de prétendants. Parmi eux, deux ténors de l’opposition : le candidat antisystème Ousmane Sonko, en prison depuis juillet 2023 notamment pour appel à l’insurrection et disqualifié par le Conseil à la suite d’une condamnation pour diffamation dans un dossier distinct, et Karim Wade, ministre et fils de l’ex-président Abdoulaye Wade (2000-2012).
Après la publication de la liste définitive des candidats, la coalition de Karim Wade a lancé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur deux des sept juges du Conseil constitutionnel dont elle met en cause l’intégrité. L’Assemblée nationale a approuvé le 31 janvier, après des débats tumultueux, la formation de cette commission sur le processus de validation des candidats. Un grand nombre des membres du camp présidentiel a voté pour cette commission. Le soutien des députés du pouvoir au camp de Karim Wade a semé le trouble. Des adversaires du président sortant ont soupçonné un plan pour repousser la présidentielle parce que le pouvoir craindrait de la perdre.
Par ailleurs, une autre candidate, Rose Wardini, a été placée vendredi soir en garde à vue par la Division des investigations criminelles (Dic, police judiciaire) pour « faux et usage de faux et escroquerie au jugement », a appris l’AFP auprès d’une source policière. Cette gynécologue et actrice de la société civile a été interpellée dans le cadre d’une enquête sur sa nationalité franco-sénégalaise présumée, selon cette source.
Tout candidat à la présidence « doit être exclusivement de nationalité sénégalaise », dit la Constitution. Le cas de cette candidate a été évoqué samedi par le président Sall comme un élément de la décision de report.
Quelles sont les réactions locales ?
Le ministre Secrétaire général du gouvernement sénégalais Abdou Latif Coulibaly a annoncé sa démission peu après l’annonce, pour recouvrer sa « pleine et entière liberté », annonce-t-il dans un communiqué. Après avoir « pris très bonne note de l’adresse au peuple sénégalais, j’ai pris la décision de tirer toutes les conséquences de tout cela, pour quitter le gouvernement », a déclaré l’ancien journaliste réputé au Sénégal et frère d’un des juges soupçonnés de corruption dans le dossier invoqué par le président Sall pour reporter le scrutin. Il a dit partir « pour pouvoir défendre mes opinions et mes convictions politiques. Cette liberté m’est indispensable en cette période ».
De son côté, l’opposant sénégalais Khalifa Sall, un des principaux candidats annoncés à la présidentielle, a appelé tout le pays à « se lever » contre le report de l’élection du 25 février, décrété par le chef de l’Etat Macky Sall. « Tout le Sénégal doit se lever. Toutes les forces politiques démocratiques et de la société civile devraient s’unir pour que ce projet n’aboutisse pas », a déclaré l’ancien maire de Dakar, sans lien de parenté avec le chef de l’Etat, lors d’une conférence de presse.
Sur X (ex-Twitter), Khalifa Sall a dénoncé « un coup d’Etat constitutionnel » et le « rêve d’éternité » du chef de l’Etat. Il a appelé « toutes les forces vives à dresser des barricades contre la monarchisation de notre pays ».
Qu’en dit la communauté internationale ?
Les Etats-Unis se sont déclarés « profondément préoccupés » par l’annonce du report sine die de l’élection présidentielle au Sénégal et ont pressé les autorités de fixer « rapidement et dans le calme » une nouvelle date.
« Nous exhortons tous les participants au processus électoral sénégalais à s’engager pacifiquement dans l’effort important visant à fixer rapidement une nouvelle date et les conditions d’une élection libre et équitable », affirme sur X le Bureau des Affaires africaines du département d’Etat, ajoutant que le Sénégal « a une forte tradition démocratique et de transitions pacifiques du pouvoir ».
En France, le ministère des Affaires étrangères a appelé « les autorités à lever les incertitudes autour du calendrier électoral pour que les élections puissent se tenir dans le meilleur délai possible et dans le respect des règles de la démocratie sénégalais ». La porte-parole de l’Union européenne, Nabila Massrali, a estimé dans un communiqué que ce report ouvrait une « période d’incertitude » et a ajouté « L’Union européenne […] appelle tous les acteurs à œuvrer, dans un climat apaisé, à la tenue d’une élection, transparente, inclusive et crédible, dans les meilleurs délais et dans le respect de l’Etat de droit, afin de préserver la longue tradition de stabilité et de démocratie au Sénégal. »
Quand la présidentielle pourra-t-elle se tenir ?
Le bureau de l’Assemblée nationale a adopté ce samedi une proposition de loi, à l’initiative de la coalition de Karim Wade, portant sur un « report de six mois maximum » de la présidentielle du 25 février, a annoncé la télévision publique. Les députés doivent ensuite se réunir en commission pour examiner le texte, avant une plénière à une date non précisée.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel est un organe essentiel du processus électoral. Il est appelé à proclamer les résultats de la présidentielle et à statuer sur les éventuelles contestations.
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