Prix Nobel de la paix : « C’est une récompense pour toutes les femmes iraniennes qui se battent »
Résistance•Ce vendredi, le comité suédois a récompensé Narges Mohammadi pour son combat en faveur des droits des femmes et des droits humains en Iran
Diane Regny
L'essentiel
- Ce vendredi, la militante iranienne Narges Mohammadi a reçu le prix Nobel de la paix.
- L’activiste et journaliste de 51 ans, récompensée pour « son combat contre l’oppression des femmes en Iran et sa lutte pour la promotion des droits humains » est actuellement emprisonnée en Iran.
- Mais ce prix peut-il contribuer à sa libération ? Peut-on espérer une inflexion de Téhéran sur les droits humains ? Ou une reprise des manifestations en Iran ?
Narges Mohammadi est devenue le visage de la résistance en Iran. Inlassablement et depuis des décennies, elle lutte de l’intérieur pour le droit des femmes et les droits humains. Ce vendredi, le comité suédois a récompensé son courageux activisme en lui remettant le prix Nobel de la paix. La médaille ne sertira pas de sitôt le cou de la militante et journaliste de 51 ans, emprisonnée à de multiples reprises depuis 1998 et toujours détenue aujourd’hui. Mais cette récompense met en lumière ce combat pour la liberté et les droits humains dans un pays où la contestation a explosé depuis un an et la mort de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs.
« Je suis très émue », réagit Azadeh Kian, professeure de sociologie politique à l’Université de Paris-cité. « Narges Mohammadi est une femme extrêmement courageuse qui a consacré des dizaines d’années de sa vie à la défense des droits humains et des femmes. Elle est emprisonnée depuis des années et n’a pas pu voir grandir ses enfants », rappelle la spécialiste de l’Iran. Le militantisme de la lauréate 2023 du prix Nobel s’est en effet accompagné de nombreux sacrifices. Ses jumeaux de 17 ans, réfugiés en France depuis 2012, n’ont pas pu la voir depuis des années.
Un « symbole pour les Iraniens »
« Elle a sacrifié sa vie pour la cause des Iraniens » et décidé « de les défendre quoi qu’il lui en coûte », renchérit la journaliste franco-iranienne Mariam Pirzadeh. Cette récompense dépasse toutefois la vie déjà exceptionnelle de Narges Mohammadi. Car elle est « un symbole pour les Iraniens », celle qui « défend les droits des opprimés et se bat pour casser les lois patriarcales du pays », souligne la journaliste, rappelant qu’elle a « brûlé son voile obligatoire en prison le 16 septembre dernier, jour de l’anniversaire de la mort de Mahsa Amini ». Le timing de ce prix Nobel s’avère par ailleurs très révélateur, un an après l’embrasement de l’Iran.
Les rues iraniennes s’étaient gonflées de la colère des protestataires et, en particulier, de celles des femmes. Ces manifestations massives et inédites par leur ampleur ont été brutalement réprimées. Des centaines de civils ont été abattus et des milliers arrêtés par le régime iranien. A chaque étape, Narges Mohammadi a soutenu la contestation. « Elle parvient à sortir d’une des prisons les plus dures au monde des lettres qui dénoncent la condition des détenus, les viols, les tortures et des messages d’espoir pour continuer la lutte contre ce régime », rappelle Mariam Pirzadeh.
Une résistance propulsée « sur le devant de la scène internationale »
En remettant ce prix, le comité Nobel rend donc hommage à ce combat pour la liberté. « C’est une récompense pour toutes les femmes iraniennes qui se battent pour leurs droits, pour la démocratie et pour la liberté dans leur pays. Elle symbolise cette résistance », salue Azadeh Kian qui ajoute que le sésame permet de « mettre ce combat sur le devant de la scène internationale ». « Le monde entier sait désormais que la prix Nobel de la paix est en prison et elle devient la détenue la plus célèbre d’Iran pour l’étranger », note Mariam Pirzadeh. A l’intérieur des frontières de l’Iran, toutefois, il est plus probable que le régime s’agace de cette consécration.
Le régime a en effet plutôt tendance à faire taire les icônes qui le contestent. « Je doute qu’elle soit libérée. Le régime va faire la sourde oreille à ce prix et probablement déclarer qu’il s’agit d’une ingérence des pays occidentaux dans les affaires iraniennes, comme il l’avait affirmé lors des manifestations l’année dernière », analyse Azadeh Kian. Une analyse partagée par la journaliste Mariam Pirzadeh qui ajoute qu’au contraire, « son cas pourrait devenir encore plus problématique pour le régime ». « Quand il se sent acculé, il a plutôt tendance à accentuer la répression », décrypte-t-elle.
La force de la répression et la résilience de la société
Depuis les manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini, le régime iranien a mis en place une répression implacable. Après avoir écrasé les mobilisations dans la rue, le régime s’en est pris aux femmes qui sortaient tête nue dans la rue pour afficher leur opposition. Fin septembre, le Parlement a adopté une loi afin de renforcer les sanctions contre les femmes qui ne respectent pas le code vestimentaire sexiste du régime. Les Iraniennes qui bravent l’interdiction risquent à présent jusqu’à dix ans de prison. « On peut malheureusement s’attendre à un durcissement de la répression. Mais ce prix va booster le désir de la société de continuer à se battre », prédit Azadeh Kian.
La répression a posé une chape de plomb sur le feu de la contestation mais le mécontentement continue à vivre dans les esprits. La population a d’ailleurs actuellement les yeux braqués sur le cas d’Armita Garavand. Cette adolescente de 16 ans est dans le coma après s’être effondrée dans un métro de Téhéran dimanche. Si le régime assure qu’elle a subi « une chute de tension », des ONG rapportent, elles, que la jeune fille qui ne portait pas de voile a été agressée par des membres de la police des mœurs. « Si elle décède et qu’il est avéré que c’est sous les coups de la police iranienne, la contestation qui n’a jamais disparu des foyers » pourrait « reprendre dans la rue », prévient Mariam Pirzadeh.
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