Pourquoi l’Inde veut changer son nom en « Bharat »

Pourquoi l’Inde veut changer son nom en « Bharat »

Inde divisionUne rumeur court depuis quelques jours sur les réseaux sociaux après la publication de l’invitation au G20 par l’Inde signée la « présidente du Bharat »
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Un carton d’invitation au G20 signé la « présidente du Bharat » est à l’origine de rumeurs en Inde.
  • Le pouvoir serait en train de préparer un changement de nom du pays provoquant une large polémique.
  • Cette possible tentative de modification, si elle n’est pas surprenante, n’est pas seulement symbolique mais retranscrit de profondes divisions entre le sud et le nord du pays, selon Olivier Da Lage, spécialiste de l’Inde et chercheur associé à l’Iris.

C’est un petit bruit qui commence à faire vibrer les réseaux sociaux, surtout en Inde. Le carton d’invitation officiel au G20, qui se tient ce week-end à New Delhi, est signé par la « présidente du Bharat ». Un terme polémique désignant l’Inde et privilégié par l’extrême droite nationaliste. Le pays serait-il alors en train de changer de nom ? C’est en tout cas ce qui se murmure. Mais cette modification est loin d’être seulement symbolique, comme l’explique à 20 Minutes Olivier Da Lage, spécialiste de l’Inde et chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).

Peut-on prendre ces rumeurs au sérieux ?

La raison pour laquelle ce n’est pour le moment qu’un bruit qui court, c’est notamment à cause de la façon dont l’information a été dévoilée. La manière de faire apparaître cette appellation souhaitée par le parti nationaliste au pouvoir, Bharatiya Janata Party (BJP), en signature d’une invitation pour un sommet international, est pour le moins surprenante. Pour autant, ce désir de changer le nom « Inde » par « Bharat » n’est pas nouveau ni étonnant de la part du pouvoir indien. D’ailleurs, le gouvernement a convoqué une session extraordinaire du Parlement plus tard dans le mois, tout en restant discret sur son contenu.

Le mot « Bharat » remonte aux anciens textes hindous écrits en sanskrit. C’est l’un de ses deux noms officiels en vertu de sa Constitution, en opposition au terme « Inde », choisit par les colons britanniques. Il y a alors « une dimension idéologique » dans cette volonté de changer de nom puisque, depuis son accession au pouvoir, « Narendra Modi insiste pour enlever tout l’héritage de la colonisation anglaise de l’Inde », explique Olivier Da Lage. Le gouvernement du Premier ministre s’est en effet efforcé de supprimer les symboles persistants de la colonisation britannique dans le paysage urbain, les institutions politiques et les livres d’histoire du pays. Narendra Modi lui-même recourt généralement quand il parle de l’Inde au mot « Bharat ».

Pourquoi ce changement de nom n’est pas seulement symbolique ?

« C’est un symbole qui a du contenu », résume Olivier Da Lage. Le sujet du nom du pays est étroitement lié à la question de la langue qui est « très polémique en Inde. » « Lors de l’écriture de la constitution, qui a duré trois ans, les discussions ont été interminables sur la langue du pays, aboutissant à deux langues officielles : l’anglais et l’hindi. Et c’est un débat qui revient régulièrement », affirme Olivier Da Lage.

Concernant le nom du pays, un compromis a été trouvé : « Il est écrit dans la constitution : "L’Inde, c’est-à-dire le Bharat, sera une Union d’États". » Le mot, qui vient de l’hindi, est donc bien présent dans le premier article de la constitution indienne, c’est néanmoins le seul endroit où il apparaît. Le rendre officiel s’inscrirait alors dans un projet nationaliste d’unifier l’Inde sous son héritage sanskrit et religieux hindou. Autrement dit, c’est une hindouisation du pays, en écartant les minorités religieuses, comme les musulmans ou les chrétiens. « Il y a une réelle volonté unificatrice du parti au pouvoir qui se retrouve d’ailleurs dans l’un des slogans favoris : "One India" ». Mais cette unification effacerait l’identité de toute une partie du pays qui ne se reconnaît pas dans le sanskrit et ce qui en découle, dont le mot Bharat.

Pourquoi il peut être problématique ?

Si les deux termes peuvent être utilisés dans le langage courant, imposer « Bharat » comme dénomination officielle à toute la population serait donc éminemment clivant. Le sud du pays refuse en effet ce terme, comme il refuse que l’Hindi devienne la langue officielle car « ils n’ont rien à voir avec l’Hindi », explique Olivier Da Lage. Démonstration que cette appellation divise dans le pays : une coalition de 26 partis d’opposition s’est formée en août avec les élections générales du printemps 2024 en ligne de mire et s’est baptisée « India », en confrontation avec le Bharatiya Janata Party. Ce refus de l’appellation Bharat s’inscrit dans une volonté de sortir de « la domination de l’Inde du nord sur le sud » venant du système de castes, dont le sanskrit est l’un des outils.

Au-delà de l’Inde, le terme Bharat peut aussi devenir problématique pour ses voisins. Lors de l’inauguration du nouveau parlement en mai dernier, une fresque murale représentant « la grande Inde » a été dévoilée. Elle y englobe la Birmanie, le Népal, le Bangladesh, le Pakistan et une partie de l’Afghanistan. Alors, pour Olivier Da Lage, « le terme de Bharat ne se limite pas à une étiquette pour le nationalisme hindou, ça correspond à un projet qui est mené étape par étape depuis 2014, et à chaque étape, il va un peu plus loin ».

A voir ensuite comment ce changement pourrait être mis en place. Pour l’officialiser et l’imposer à l’ensemble du pays, il faudrait changer la constitution. L’élection du printemps 2024 pourrait être une aubaine pour entamer une modification dans la constitution. Au niveau international, le projet ne devrait pas rencontrer d’obstacle particulier. De nombreux pays avant l’Inde ont déjà fait la démarche, même si certains Etats peinent encore à imposer dans la langue courante leur nouvelle appellation.