Entre soft power et « émancipation », la stratégie de l’Arabie Saoudite porte-t-elle ses fruits ?
influence•Le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane est reçu ce vendredi à l’Elysée par Emmanuel Macron. Mêlant soft power et autonomisation diplomatique, sa stratégie vise à lisser l’image de la monarchie. Avec succès ?Octave Odola
L'essentiel
- Emmanuel Macron va recevoir ce vendredi à l’Elysée Mohammed Ben Salmane. Le prince héritier saoudien avait déjà été reçu en juillet 2022 par le président français.
- Iran, Liban, guerre en Ukraine… Au-delà des dossiers géopolitiques d’actualité, « MBS » poursuit sa mission d’aplanissement de l’image de l’Arabie Saoudite en usant du soft power. Une méthode qui semble porter ses fruits.
- Pour 20 Minutes, Jean-Loup Samaan (Ifri) et David Rigoulet-Roze (Iris), deux chercheurs spécialistes des pays du Golfe, analysent l’attitude adoptée par l’Arabie Saoudite.
Un ballon aux pieds dorés au royaume de l’or noir. En s’engageant avec Al-Ittihad, Karim Benzema s’est offert un dernier défi, au crépuscule d’une immense carrière qui l’aura propulsé au rang de star internationale. Avec son ex-coéquipier Cristiano Ronaldo, arrivé quelques mois avant lui dans le championnat saoudien, le footballeur français a déjà soigné ses statistiques. Car l’ancien madrilène a offert une passe décisive à un homme à peine plus âgé que lui : Mohammed Ben Salmane.
A 37 ans, le prince héritier saoudien a élaboré à un nouveau schéma tactique pour sa monarchie, à grands coups de nouvelles stratégies diplomatiques. Tout en gardant à l’esprit une « obsession » : le plan Saudi vision 2030, pensé en 2016, et qui doit permettre à l’Arabie Saoudite de diversifier son économie. « Son plan permet de comprendre toutes ses décisions, y compris la mobilisation d’un soft power, dont fait partie le 'sport power', analyse David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques. On le voit très bien avec Lionel Messi, qui est officiellement ambassadeur du tourisme dans le royaume. Et le tourisme est l’un des secteurs amenés à prendre de l’importance dans le cadre du plan ».
Un changement d’image pour attirer les investisseurs
Dans ce domaine, « MBS » s’inspire de ses voisins émiratis et qataris, même si « les échelles sont complètement différentes », précise Jean-Loup Samaan, chercheur associé à l’Ifri spécialiste des pays du Golfe, estimant qu’il pourrait y avoir « un effet de masse » en Arabie Saoudite.
Pour le spécialiste, cette stratégie de l’image porte ses fruits, au moins sur le plan diplomatique. « Mohammed Ben Salmane est redevenu fréquentable, notamment depuis la visite de Joe Biden l’été dernier », constate-t-il. Quatre ans après avoir promis de faire de « MBS » un « paria » sur la scène internationale, le président américain s’était fendu d’un « check » avec le prince héritier.
« Diversifier l’économie, ça passe aussi par une amélioration de l’image, ce qui n’est pas forcément simple compte tenu de certains passifs en matière de droit de l’homme et notamment l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018, appuie David Rigoulet-Roze. Pour MBS, il est impératif d'amender l’image du royaume. Il s'agit d'être plus attractif pour les investisseurs étrangers, qui, pour le moment, sont partiellement attentistes. »
Conscient d’être assis sur une source pétrolière qui se tarit, « MBS » n’a pas hésité à se montrer offensif sur le sujet. Ainsi, l’Arabie Saoudite a réduit sa production de pétrole dans le but d’augmenter ses bénéfices, et garnir une enveloppe conséquente pour investir ailleurs.
Une volonté d’émancipation sur la scène internationale
Sport, projets immobiliers pharaoniques, conquête spatiale… L’Arabie Saoudite multiplie les chantiers. « Mohammed Ben Salmane fait feu de tout bois et ça peut paraître confus, mais il y a cohérence sous-jacente. Son plan passe aussi par la mobilisation et l’adhésion de la population saoudienne, notamment des jeunes. Dans le cadre du programme spatial, par exemple, il y a la volonté de cultiver une certaine fierté nationale », précise David Rigoulet-Roze.
Face à une actualité internationale qui ne manque pas de dossiers chauds, l’Arabie Saoudite vise aussi à prendre des initiatives, parfois au détriment de son allié historique américain.
Après six ans de brouille, Riyad s’est rabibochée avec Téhéran… Avec l’aide de la Chine, deux rivaux des Etats-Unis. « Il y a eu un rapprochement avec Pékin sur le plan économique, sécuritaire, et technologique. D’ailleurs, Xi Jinping a été reçu avec beaucoup d’égard en Arabie Saoudite (en décembre 2022) », rappelle Jean-Loup Samaan.
Médiation au Soudan, protagoniste au Liban, le regard tourné vers l’Asie, position changeante sur la guerre en Ukraine… Comme sur le plan économique, le royaume saoudien continue de mener plusieurs dossiers de front. Des sujets qui ne manqueront pas d’être évoqués à l’Elysée entre « MBS » et Emmanuel Macron. « La France, à l'instar des autres puissances occidentales, est obligée de prendre acte de ce phénomène d’autonomisation stratégique de Riyad, conclut David Rigoulet-Roze. Mais il ne s’agit pas non plus de laisser l’Arabie Saoudite se rapprocher de trop près de la Chine et la Russie ».