DISCORDE AériennePourquoi les objets volants bénéficient d’une « d’impunité réglementaire »

Ballon chinois : Les mystérieux objets volants bénéficient d’une « forme d’impunité réglementaire et technique »

DISCORDE AérienneQuatre objets volants, dont un « ballon espion chinois » d’après Washington, ont été abattus au-dessus des Etats-Unis et du Canada en moins de dix jours
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Le 2 février, le Pentagone annonce suivre un ballon volant à haute altitude au-dessus du territoire des Etats-Unis avant de l’abattre le 4 février au large de la Caroline du Sud. Washington accuse Pékin d’avoir une « flotte de ballons espions » pour « violer la souveraineté des Etats-Unis et de plus de 40 pays ».
  • Depuis, trois autres objets volants ont été abattus, dont un au-dessus du Canada, sans que l’on sache qui en sont les propriétaires.
  • 20 Minutes fait le point sur ces mystérieuses intrusions volantes, grâce à l’éclairage de Bertrand Vilmer, partenaire associé d’Icare Group, une société de conseil spécialisée en aéronautique et ancien pilote d’essai expérimental.

Les objets volants semblent se multiplier outre-Atlantique. Le 2 février, un ballon volant à haute altitude au-dessus des Etats-Unis est repéré. Il est abattu deux jours plus tard, l’objet chinois étant considéré par Washington comme « espion ». Puis le 10 février, un nouvel objet volant est abattu au-dessus de l’Alaska, le lendemain un autre est détruit dans le nord-ouest du Canada et enfin dimanche un quatrième est abattu par un F-16 au-dessus du lac Huron, dans le nord des Etats-Unis. Mais ces objets volants sont-ils fréquents ? Pourquoi ont-ils été abattus ? 20 Minutes fait le point sur ces mystérieux pirates de l’air grâce à l’éclairage de Bertrand Vilmer, partenaire associé d’Icare Group, une société de conseil spécialisée en aéronautique et ancien pilote d’essai expérimental.

Est-ce que ces objets volants non identifiés sont fréquents ?

L’espace aérien est peu surveillé au-dessus de 20 kilomètres, il est donc difficile de savoir avec exactitude ce qui s’y trouve. « Les radars ont beaucoup de mal à capter des objets qui volent à très haute altitude, au-delà de 20 kilomètres parce qu’ils sont conçus pour suivre l’activité des avions de ligne qui ne dépassent jamais 18.000 mètres de haut », explique Bertrand Vilmer. D’autant qu’entre 20 kilomètres et 100 kilomètres de haut, il y a une « forme d’impunité réglementaire et technique ». Réglementaire d’abord, parce qu’au-delà de 20 kilomètres d’altitude, « ce n’est plus l’espace aérien national, il n’y a aucune réglementation » et technique parce qu’à cette altitude, « personne ne peut vous voir ou alors très difficilement », explique l’expert en aéronautique.

Reste que les ballons espions ne sont pas une nouveauté dans le domaine du renseignement. « Ce qui est nouveau, c’est qu’on les a oubliés. C’était très fréquent pendant la guerre froide, les deux camps en utilisaient par centaines pour le renseignement », rappelle l’ancien pilote d’essai qui admet toutefois que c’est une méthode « plus tellement à la mode ». La méthode est peut-être surannée, mais elle comporte des avantages certains. Alors que les satellites de surveillance - visuelle comme électromagnétique - ne descendent pas en dessous de 100 kilomètres de haut, les ballons espions peuvent se rapprocher des cibles... qu’ils espionnent. « Comme ils sont beaucoup plus bas, ils obtiennent de bonnes images avec des moyens optiques moins perfectionnés. Quant aux interceptions notamment électromagnétiques ou radar, il est plus facile d’obtenir des informations à 20 kilomètres de haut qu’à 100 ou 200 », décrypte Bertrand Vilmer, qui ajoute qu’ils sont beaucoup moins chers.

Pourquoi ces objets ont-ils été abattus ?

Avec ses soixante mètres de haut et son poids d’environ une tonne, le ballon abattu le 4 février était difficile à ignorer par Washington. Les photographies prises par des avions montraient des antennes très caractéristiques. « Il est évident qu’il ne s’agissait pas d’un ballon météo, vu la taille des antennes. Elles sont faites pour intercepter les communications des pays survolés, pas pour surveiller la météorologie », lance Bertrand Vilmer. « Les Américains l’ont abattu parce qu’ils étaient convaincus qu’il s’agissait d’un aéronef espion au-dessus de leur territoire », affirme l’expert en aéronautique. D’autant que le ballon a survolé le Montana, où se trouve la Malmstrom Air Force Base, une base de l’armée américaine, surnommée la « base nucléaire de l’apocalypse ». Un site hautement sensible donc.

De plus, la présence du ballon ayant été éventée, il était politiquement difficile pour Joe Biden de l’ignorer. « Les Américains étaient forcés de l’abattre pour des raisons de politique intérieure, de souveraineté », abonde Bertrand Vilmer. Les autres appareils détectés et abattus se trouvaient à une altitude de 12.000 mètres pour les deux premiers et de 6.000 mètres pour le dernier. Ils auraient donc pu représenter un danger pour la sécurité des vols civils. En général, les avions de ligne se déplacent entre 5.100 et 12.200 mètres. Les objets ont donc été abattus afin d’annihiler le risque de collision. Ils ont peut-être aussi été repérés grâce au premier incident. « La majorité de ce que nous cherchions ne ressemblait pas à des ballons. Maintenant, bien sûr, nous les cherchons. Je pense donc que nous trouvons davantage de choses », a déclaré dimanche l’élu démocrate Jim Himes, membre de la commission du renseignement de la Chambre des représentants.

Quelles conséquences pourrait avoir cet incident sur la relation entre Washington et Pékin ?

La tension est palpable entre Washington et Pékin depuis que le ballon a été repéré en train de dériver au-dessus des Etats-Unis. Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a repoussé une visite en Chine. Vendredi, Washington a ajouté six entreprises chinoises à sa liste noire, leur interdisant l’accès aux technologies et biens américains sans autorisation. Et depuis l’incident, les deux pays se renvoient le ballon. Pékin affirme ainsi que depuis le début de l’année 2022, des ballons américains ont violé son espace aérien « plus de dix fois ». Une théorie possible, pour Bertrand Vilmer, qui rappelle que certains objets volants « font partie de programmes militaires extrêmement sensibles et confidentiels avec un cloisonnement absolu ». Difficile donc de corroborer ces accusations quand, dans ces programmes, « chacun ne connaît qu’un petit morceau du puzzle ».


Notre dossier sur l'espionnage

Washington a rejeté les accusations de Pékin ce lundi, affirmant que la Chine tentait seulement de « limiter les dégâts » alors qu’elle a « violé la souveraineté des Etats-Unis et de plus de 40 pays » avec son « programme de ballons espions ». Après que le ballon a été abattu, Pékin a fait part de son « fort mécontentement » et le ministre des Affaires étrangères a affirmé que le pays se réservait « le droit » de répliquer. Il y a toutefois peu de chances que la brouille dégénère. « Personne n’a intérêt à faire monter la sauce », glisse Bertrand Vilmer. Reste que l’ambiance est froide entre les deux puissances et leur rivalité dans le Pacifique, elle, n’est pas près de se dégonfler.