Corée du Nord : De nouvelles sanctions pourront-elles suffire à dissuader Pyongyang de tirer des missiles ?
Nucléaire•Après un nouveau tir de missile balistique de la Corée du Nord vendredi, le G7 a demandé de nouvelles sanctions contre PyongyangCécile De Sèze
L'essentiel
- Depuis le mois de novembre, la Corée du Nord a tiré un nombre record de missiles. Parmi eux, son tout dernier ICBM envoyé vendredi et dont la portée potentielle lui permettrait de toucher le continent américain.
- En réponse à cette nouvelle provocation, les pays membres du G7 ont réclamé de nouvelles sanctions contre le pays qui fait déjà face à de mesures prises à son encontre depuis 2005.
- Les sanctions peuvent-elles encore être efficaces face à un pays déterminé à se doter de la force nucléaire et à s’en servir en cas d’attaque ? Quelques éléments de réponses avec Marianne Péron-Doise, chercheuse associée à l’Iris et spécialiste des questions stratégiques en Asie.
La tension monte entre les pays occidentaux et la Corée du Nord. Depuis novembre, Pyongyang a testé un nombre record de missiles malgré les mises en garde des Etats-Unis, du Japon et de la Corée du Sud. Le dernier en date : un missile balistique qui est tombé vendredi dans la zone économique exclusive de Tokyo, à l’ouest de Hokkaido. Ce missile semble être son tout dernier ICBM de Pyongyang, dont la portée potentielle lui permettrait de toucher le continent américain. Une nouvelle provocation qui a déclenché l’inquiétude de l’autre côté du globe, les pays membres du G7 (Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Grande-Bretagne et Etats-Unis) réclamant un nouveau train de sanctions contre le régime de Kim Jong-un.
Cette réaction peut-elle aboutir ? Peut-elle même être efficace après des années de sanctions occidentales contre la Corée du Nord ? Comment pourrait réagir Pyongyang face à ce nouveau blocage occidental ? Quelques éléments de réponses avec Marianne Péron-Doise, chercheuse associée à l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), et spécialiste des questions stratégiques en Asie.
Comment expliquer l’accélération de tests de missiles par la Corée du Nord ?
Si les tirs ont repris depuis 2021 après l’échec des négociations entre Pyongyang et Washington, la Corée du Nord a décuplé ses essais de missiles balistiques en 2022, et particulièrement depuis le mois d’octobre. Selon un décompte du Monde, cette année, pas moins de 75 missiles intercontinentaux et spatiaux de courte et moyenne portée ont été tirés. Et la situation n’est pas sur la voie de la résolution. « La Corée du Nord veut passer à un stade opérationnel sur ses missiles nucléaires », explique à 20 Minutes Marianne Péron-Doise qui prévoit « un tir nucléaire à moyen terme ». Ainsi, le pays dirigé par Kim Jong-un veut démontrer sa capacité à toucher le territoire américain, avec une portée des tirs qui s’allonge. La Corée du Nord tente ce faisant de se doter d’une capacité balistique mais aussi nucléaire, d’abord dans une logique de dissuasion.
Mais pas seulement. « Ce n’est plus seulement une question de dissuasion, c’est aussi la capacité à repousser une agression et à gagner une guerre », indique Antoine Bondaz, directeur du programme Corée à la Fondation pour la recherche stratégique, au Monde. En plus de cette force nucléaire dissuasive, la Corée du Nord veut également « normaliser sa force nucléaire au sein des forces armées avec des unités spécialisées », ajoute Marianne Péron-Doise. « On assiste à une affirmation et une normalisation des capacités nucléaires dans l’arsenal nord coréen », poursuit-elle. « Cette année, la Corée du Nord a amélioré ses capacités balistiques avec l’intention affichée de développer un programme nucléaire tactique, a développé Nicolas de Riviere, le représentant permanent de la France auprès des Nations unies, le 4 novembre dernier devant les membres du conseil de sécurité. Elle utilise une rhétorique nucléaire de plus en plus agressive comme le souligne l’actualisation en septembre de sa doctrine nucléaire ».
Quelles sont les sanctions qui visent déjà la Corée du Nord ?
Depuis près de vingt ans, la Corée du Nord fait face à des sanctions occidentales. Dès 2006, le conseil de sécurité de l’ONU vote notamment l’interdiction d’exporter des produits de luxe vers la Corée du Nord, plusieurs actifs financiers sont gelés et plusieurs personnalités sont interdites de voyager à l’étranger. Dix ans plus tard, des restrictions importantes sur les exportations de charbon de la Corée du Nord, destiné en grande partie à la Chine, sont imposées, comme un embargo sur l’exportation de cuivre, nickel, argent et zinc du pays asiatique. L’année 2016 marque le dernier train de sanctions prises contre Pyongyang, même si certaines entités, à l’instar de l’Union européenne, adoptent d’autres mesures depuis, dont la liste complète est à retrouver sur le site du Conseil européen. En résumé, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté près d’une douzaine de résolutions imposant des sanctions à la Corée du Nord en raison de son activité nucléaire et de tirs de missiles depuis 2006.
Une nouvelle fois, les ministres des Affaires étrangères du Groupe des Sept ont déclaré lundi que les tirs répétés de missiles par la Corée du Nord « déstabilisent davantage la région, malgré les appels de la communauté internationale à la paix et à la stabilité ». La déclaration du G7 appelle alors à « une réponse unie et robuste de la part de la communauté internationale, y compris la nécessité pour le Conseil de sécurité de l’ONU de prendre des mesures significatives supplémentaires ». Ces dernières n’ont pas été détaillées.
Peuvent-elles être efficaces ?
Face à ces restrictions, la Corée du Nord a su s’adapter. Ces sanctions « n’ont plus beaucoup de capacité de nuisance, notamment dans tout ce qui touche aux échanges de biens », note Marianne Péron-Doise. En effet, Pyongyang est parvenu à contourner les sanctions, comme le note l’ONU dans un rapport publié le 4 novembre dernier. Nicolas de Riviere y écrit : « La Corée du Nord contourne quotidiennement les sanctions, par la voie maritime, mais aussi via ses cyberattaques qui permettent directement de financer ses programmes ». C’est pourquoi, « il faut maintenir la pression et l’adapter dans certains domaines », ajoute-t-il.
notre dossier sur la corée du nord
Mais la Corée du Nord, désormais habituée aux sanctions internationales, semble être aussi tentée d’exploiter le contexte actuel qui « pourrait expliquer cette reprise d’initiative des tirs », analyse Marianne Péron-Doise. Assistant à un durcissement du dialogue entre la Chine et les Etats-Unis, la Corée du Nord « pense qu’elle peut bénéficier d’une impunité plus ou moins offerte par la Russie et la Chine », deux membres du conseil de sécurité de l’ONU qui pourraient alors voter contre les sanctions, rappelle la chercheuse associée à l’Iris. D’autant que toutes les sanctions adoptées depuis des années n’ont pas empêché la Corée du Nord de poursuivre son développement nucléaire ainsi que les provocations contre l’Occident.
En face, outre les sanctions, les Etats-Unis, le Japon et la Corée du Sud mettent le paquet sur la pression militaire avec des exercices communs avec des équipements de plus en plus sophistiqués. Une autre technique de dissuasion afin de faire comprendre à Pyongyang qu’en cas de ligne rouge franchie, « il y aura une réponse assez ferme », note Marianne Péron-Doise.
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