« MIDTERMS MONDAY »L’aide américaine à l’Ukraine, un dommage collatéral des midterms ?

Midterms 2022 : L’aide à l’Ukraine sera-t-elle un dommage collatéral du scrutin ?

« MIDTERMS MONDAY »Retrouvez tous les lundis notre couverture des élections de la mi-mandat du 8 novembre
Philippe Berry

Philippe Berry

L'essentiel

  • Chaque lundi, 20 Minutes explore l’actualité et les enjeux des élections américaines de la mi-mandat, le 8 novembre prochain.
  • Le probable futur chef des républicains à la Chambre, Kevin McCarthy, a prévenu qu’il n’y aurait pas de « chèque en blanc » pour aider l’Ukraine, si son parti devenait majoritaire.
  • Si un blocage total de l’aide est peu probable à court terme, Joe Biden risque de devoir faire des concessions.

Edit du 8 novembre 2022 : Les Américains sont appelés aux urnes. Ils doivent notamment renouveler une partie du Congrès dans le cadre des élections de mi-mandat de la présidence Joe Biden. Un scrutin à très haut risque pour le pouvoir démocrate. C’est pourquoi, nous vous proposons la relecture de cet article.

De notre correspondant aux Etats-Unis,

« No blank check. » Par ces trois mots, le patron de la minorité républicaine à la Chambre, Kevin McCarthy, a prévenu mi-octobre : son parti ne signera plus de « chèque en blanc » pour aider l’Ukraine s’il remporte la majorité lors des midterms du 8 novembre, avec une potentielle récession qui se profile. Face à une victoire républicaine qui ne fait plus guère de doute, Kiev, mais aussi les alliés des Etats-Unis, s’inquiètent de ce possible changement de politique américaine qui pourrait menacer le succès de la contre-offensive ukrainienne. Car s’il n’y a pas « de risque substantiel à court terme que l’aide américaine se tarisse, les républicains risquent de monnayer leur soutien pour obtenir des contreparties », estime Scott Anderson, expert en gouvernance à la Brookings institution, un célèbre think tank de Washington.

Vendredi, le département d’Etat a annoncé un nouvel envoi de roquettes pour lanceur multiples de moyenne distance Himars, qui jouent un rôle crucial pour pilonner les dépôts de munitions et les centres de commandement russes. Au total, depuis le début de l’invasion, il y a huit mois, Washington a fourni pour près de 18 milliards de dollars d’équipement militaire à l’Ukraine, sur 27 milliards promis, auxquels s’ajoute presque autant d’aide économique et humanitaire.

Divisions républicaines

Face à ces menaces républicaines, l’ancien vice-président Mike Pence a tapé du poing sur la table : « Il ne peut pas y avoir de place dans le mouvement conservateur pour les chantres de Poutine. Il n’y a de place dans ce mouvement que pour les défenseurs de la liberté. »

Avec sa sortie, Kevin McCarthy s’adressait principalement à l’aile populiste du parti républicain, représentée à la Chambre par le Freedom caucus. Ce groupe parlementaire trumpiste, qui milite pour une doctrine « America First », représente 20 % des élus conservateurs (42 sur 212). Une minorité bruyante qui avait empêché McCarthy de devenir Speaker en 2015, et dont il aura besoin pour se saisir du marteau en janvier, surtout si les républicains ne disposaient que d’une courte majorité. L’une des élues les plus visibles de ce groupe, Marjorie Taylor Greene, a accusé Joe Biden d’envoyer « des dollars gagnés à la sueur de leur front par les contribuables américains » pour aider un pays étranger à « mener une guerre qu’il n’a aucune chance de gagner ».

Un soutien massif de la population

Pour autant, Scott Anderson estime qu’il devrait encore y avoir assez d’élus démocrates et républicains pro-Ukraine dans le Congrès post-midterms pour soutenir un effort qui coûte au final bien moins cher – financièrement et politiquement – qu’une guerre active avec des troupes américaines déployées on the ground.

Près de 75 % des Américains soutiennent l’aide actuelle, selon un sondage Ipsos. Et Joe Biden pourra encore compter sur une grosse enveloppe qui doit être votée d’ici à la fin de l’année, avant que le nouveau Congrès ne prenne ses fonctions en janvier. Ensuite, le parti républicain devrait, selon Anderson, tenter de monnayer son soutien, « par exemple pour obtenir des concessions afin de pérenniser des baisses d’impôts ». Mais cet ancien avocat du département d’Etat de l’administration Obama avertit : « Si ce conflit s’éternise, le soutien envers les Nations occidentales frappées par les difficultés économiques et énergétiques risque de diminuer. Et dans une guerre d’attrition, on ne sait pas qui (de Kiev ou de Moscou) serait capable de résister le plus longtemps ».

Risque d’effet domino

A lui seul, le soutien américain représente deux tiers de l’aide militaire mondiale à l’Ukraine (27 milliards sur près de 40 promis). Kiev et les alliés de Washington surveillent donc nerveusement ces midterms. Toute inflexion risquerait d’avoir un effet domino catastrophique, prévient le lieutenant général à la retraite Ben Hodges : « Si l’aide américaine diminue de manière significative, de nombreux pays utiliseront cette excuse pour réduire leur contribution eux aussi. » En Europe, l’Italie de Giorgia Meloni et l’Allemagne, frileuse à cause de sa russo-dépendance énergétique, font figure de maillons faibles.

Selon l’ancien patron des forces américaines en Europe, les conséquences dépasseraient alors largement le cadre de l’Ukraine : « La Russie en conclurait que les Etats-Unis ne sont pas prêts à tout faire pour stopper son agression en Europe. La Chine verrait que Washington n’a pas la volonté – ou les capacités – d’endurer les difficultés économiques nécessaires pour soutenir une Nation démocratique face à un dictateur qui tue des civils innocents et se moque des lois internationales. » Et s’il y a une seule certitude dans ce conflit, c’est que Vladimir Poutine, au pouvoir depuis vingt-deux ans, sait se montrer patient.