Elections au Brésil : Est-ce qu’on sous-estime toujours les populistes ?
ANTISYSTEME•A la veille du second tour de la présidentielle brésilienne, le sortant d’extrême droite, Jair Bolsonaro, dépasse toutes les prévisions. Une situation pas si nouvelleRachel Garrat-Valcarcel
L'essentiel
- Ce dimanche a lieu le second tour de l’élection présidentielle au Brésil. Lula est toujours le favori, mais Bolsonaro, le président sortant, le talonne dans les sondages.
- Des exemples dans d’autres pays laissent aussi penser que les populistes sont souvent sous estimés dans les sondages.
- Et certains en font même un argument antisystème, qui leur permet de convaincre de nouveaux électeurs.
Au début du mois, la seule question au Brésil était de savoir su Lula allait être élu président dès le premier tour ou pas. Ce week-end, à la veille du deuxième tour, la question est plutôt : Jair Bolsonaro peut-il finalement gagner ? Le président brésilien sortant d’extrême droite a fait mieux que prévu lors du premier tour du 2 octobre et s’est fortement rapproché dans les sondages de second tour de son concurrent, l’ancien président de gauche de 2002 à 2010.
Ça vous rappelle quelque chose ? Cela ressemble au scénario des deux dernières élections présidentielles américaines, où Donald Trump a, à chaque fois, dépassé les attentes, pas assez pour l’emporter la deuxième fois néanmoins. Ailleurs, le Hongrois Viktor Orban, qu’on disait talonné par son opposition unie aux législatives du printemps, a finalement remporté une victoire éclatante. On peut tirer jusqu’à Boris Johnson, en 2019, qui a remporté une majorité d’une ampleur inattendue aux législatives britanniques.
Pas systématique
Les populistes et, pour certains d’entre eux, l’extrême droite, est-elle toujours sous estimée ? « On se souvient surtout des sondages qui se trompent, souligne le… sondeur Mathieu Gallard, de chez Ipsos. Regardez Marine Le Pen, Georgia Meloni en Italie ou l’extrême droite suédoise qui ont été bien estimées lors des dernières élections. » Il reconnaît parfois des difficultés à créer les bons échantillons, mais cela ne touche pas forcément que les électeurs et électrices potentiels de l’extrême droite.
Dans le cas de Donald Trump, par exemple, les sondages se sont au final relativement peu trompés, « mais la complexité du système électoral est redoutable », note Cécile Alduy, professeure à Stanford University, chercheuse associée au Cevipof de Sciences Po et spécialiste de l’extrême droite. Cette mésestimation relative n’a pourtant pas empêché l’ancien président américain d’en faire un argument antisystème. « C’est une stratégie très classique, remarque Mathieu Gallard. Cela renforce leur positionnement anti-establishment, ils sont là pour le combattre et le changer. »
Le rôle de l’outsider
Une part de l’énergie des populistes se trouve dans la position de « l’outsider ». « Cela peut mobiliser les électeurs qui penchent pour eux de dire que chaque voix compte, que ce n’est pas gagné d’avance, croit Cécile Alduy. Alors qu’inversement, un électorat qui penche pour les partis traditionnels peut penser que tout est joué d’avance et avoir tendance à s’abstenir », comme au premier tour de la présidentielle française de 2002, par exemple. Cela ne marche néanmoins pas tout le temps : le fameux « vote caché » en faveur d’Eric Zemmour, tant vanté par l’équipe du candidat d’extrême droite dans le dernier droit de la campagne présidentielle n’a toujours pas été retrouvé. « Il faut lire ça comme une stratégie de communication, pas comme une analyse », prévient Mathieu Gallard.
Dans le cas de la campagne brésilienne, certains partis qui soutiennent Jair Bolsonaro veulent déposer une proposition de loi qui sanctionnerait les instituts de sondages se trompant. Le candidat-président a lui même peu utilisé l’argument depuis le premier tour observe Mathieu Gallard, « mais c’est parce que c’est un cas particulier : il a une rhétorique de remise en cause du suffrage universel et de la démocratie. Déjà en 2018, il disait que s’il perdait ce serait parce que les élections n’étaient pas justes ».
Force et faiblesse
Seulement, dans de nombreux cas désormais, les candidats populistes et/ou d’extrême droite sont des sortants. Ils ont exercé le pouvoir, parfois de manière catastrophique : on pense bien sûr par exemple, à la gestion de la pandémie de Covid-19 par Jair Bolsonaro au Brésil et, dans une moindre mesure, à celle de Donald Trump aux Etats-Unis, quelques mois avant le scrutin. S’ils ont ces résultats électoraux, c’est que ça marche ? Oui et non. Il y a d’abord ceux qui ont tenté la stratégie de « notabilisation », « comme les maires FN élus en 2014. En adoptant une gestion ''en bon père de famille'', et en remisant au maximum l’idéologie au placard, ils bénéficient, comme les autres, de la prime au sortant ».
Mais Jair Bolsonaro, qui affiche clairement la couleur d’un programme économique ultralibéral et socialement réactionnaire, ne semble pas appartenir à cette catégorie. « On peut lire les meilleurs résultats que prévus de Bolsonaro ou Trump comme le fait que leur attitude est celle attendue par la population, analyse Mathieu Gallard. Mais il faut remarquer que le même jour, les candidats de leurs partis aux élections parlementaires ou locales font mieux qu’eux-mêmes à la présidentielle. Donc, d’une certaine manière, Bolsonaro et Trump sont des repoussoirs. » Leur personnalité et leur tactique populiste chauffent à blanc une base qui se mobilise fortement, ce qui fait leur force… Mais c’est aussi leur frein.