Royaume-Uni : Liz Truss, entre « l’humiliation de devoir renoncer » et celle d’être « une simple marionnette »
House of Cards•Agnès Alexandre-Collier, professeur de civilisation et de politique britannique à l’université de Bourgogne, revient pour « 20 Minutes » sur le début de mandat délicat de Liz TrussQuentin Ballue
L'essentiel
- La Première ministre britannique Liz Truss connaît un début de mandat cataclysmique. La présentation de son programme économique a affolé les marchés et obligé la Banque d’Angleterre à intervenir devant « un risque important pour la stabilité financière du Royaume-Uni ».
- Dans la tourmente, la leader du Parti conservateur est critiquée de tous les côtés, y compris dans son propre camp, où l’option d’une motion de défiance n’est pas écartée.
- 20 Minutes revient sur la tempête qui fait vaciller la locataire du 10 Downing Street avec Agnès Alexandre-Collier, professeur de civilisation et de politique britannique à l’université de Bourgogne.
«Désolée », Liz Truss ne ressent pas pour autant une envie de s’isoler. La Première ministre a reconnu des « erreurs » lundi, mais promis de rester à son poste « pour tenir (ses) engagements pour l’intérêt national ». Celle qui est en fonction depuis le 6 septembre est pourtant confrontée à des vents contraires. Au point qu’un tabloïd, le Daily Star, diffuse un live YouTube depuis cinq jours pour savoir si la dirigeante a une durée de vie supérieure à celle d’une laitue. 20 Minutes fait le point sur le « dossier Liz Truss », qu’Agnès Alexandre-Collier présente de la façon suivante : « C’est compliqué, mais passionnant si vous aimez House of Cards ! »
Pourquoi Liz Truss est-elle dans la tourmente ?
Fin septembre, Liz Truss a annoncé une baisse massive des impôts pour les plus riches, estimée à 50 milliards d’euros. Conséquence : un énorme frisson sur les marchés financiers et une livre sterling en chute libre, qui a atteint un niveau historiquement bas face au dollar. Une tempête financière qui a mis la Première ministre en grande difficulté, auprès de l’opinion, mais aussi au sein même de son parti.
« Liz Truss a fait campagne pour le poste de leader du parti avec un programme qu’elle a toujours défendu : réduire les impôts, stimuler la création de richesse et favoriser cette théorie du ruissellement qui devrait bénéficier à tous », contextualise Agnès Alexandre-Collier, interrogée par 20 Minutes. Sauf que « les marchés n’ont pas supporté » la présentation de sa première mesure phare. « Elle a fait machine arrière et a dû nommer un nouveau chancelier de l’Echiquier, beaucoup plus centriste économiquement, Jeremy Hunt. »
Lequel a déroulé un plan qui détricote quasiment tout ce que Truss avait promis, histoire de coller davantage à ce qui avait été promis lors de la victoire du parti aux législatives de 2019. « En présentant un programme économique plutôt situé sur sa gauche, le parti conservateur a remporté un certain nombre de circonscriptions qui avaient toujours voté pour le Labour dans le nord de l’Angleterre. Le programme de Liz Truss n’aurait pas été tenable à terme, les députés conservateurs auraient chaque jour dû rendre des comptes aux électeurs et se faire laminer pendant leurs permanences », prédit encore notre experte.
Le fossé séparant la politique désormais menée de celle que Truss défendait affaiblit considérablement l’intéressée. « Elle estime qu’ayant été élue sur la base de ces promesses-là, elle était en droit d’introduire ces mesures. Sauf que l’élection ne s’adressait qu’aux militants conservateurs, éclaire Agnès Alexandre-Collier. Au final, Liz Truss a été élue par 0,2 % du corps électoral britannique, soit des militants conservateurs du Sud-Est et de la City. Elle revendique aujourd'hui une légitimité qui ne lui a été accordée que par une minorité infime. »
Liz Truss peut-elle rester au 10 Downing Street ?
Si la ministre de l’Intérieur Suella Braverman, le ministre de l’Environnement Ranil Jayawardena et d’autres membres du parti ont appelé à l’unité, la Première ministre est aujourd’hui dans un fauteuil inconfortable. Pour ne pas dire un siège éjectable. « On peut imaginer qu’à terme, les conservateurs vont vouloir se débarrasser d’elle et demander une nouvelle élection du leader », estime Agnès Alexandre-Collier.
« C’est assez intenable. Ça se joue entre l’humiliation de devoir renoncer à tout et le fait de s’accrocher à un poste pour lequel elle n’a plus aucune pertinence. Si le gouvernement mène une politique inverse à ce qu’elle a préconisé, quel intérêt de la voir encore en exercice ? Continuer à fonctionner comme une simple marionnette à la tête du gouvernement, ça voudrait dire renoncer à tout ce auquel elle croit. »
Une motion de censure pourrait être déposée par le propre camp Truss et, en cas de vote favorable, provoquer une nouvelle élection du leader du parti. « Si 15 % des députés conservateurs demandent une motion, il y aura de nouveau un vote, confirme Agnès Alexandre-Collier. On peut avoir le même scénario qu’en septembre avec Johnson : on se trouve un nouveau leader, et on repart comme avant. »
Trois autres options se dessinent : le maintien en poste de la Première ministre, une démission, ou une motion de censure déposée par les travaillistes qui, si elle était votée, provoquerait de nouvelles élections générales à haut risque. « Il y a quand même plus de scénarios en faveur de son départ qu'en faveur de son maintien, ça répond à la question de manière oblique », conclut Agnès Alexandre-Collier.
Qui pour succéder à Liz?
Plusieurs noms ressortent, notamment l’ancien ministre des Finances Rishi Sunak, le nouveau ministre des Finances Jeremy Hunt et la ministre chargée des relations avec le Parlement Penny Mordaunt. Tous s’étaient présentés à l’élection du nouveau chef du Parti conservateur cet été, mais avaient terminé derrière l’actuelle Première ministre.
« Les conservateurs ont fait un grand écart entre ce que voulaient les électeurs, un programme plutôt interventionniste et redistributif sur le plan économique, et ce que veulent leurs adhérents traditionnels, c’est-à-dire l'inverse. Ils se retrouvent écartelés entre ces deux pôles. On est un peu aux deux extrêmes du parti conservateur aujourd’hui et aucune figure montante ne se situe vraiment au milieu », note toutefois Agnès Alexandre-Collier.
Et d'ajouter : « Rishi Sunak, de ce point de vue, ça pourrait coller, mais il a déjà échoué, je ne sais pas s’il aura envie d’y retourner. Jeremy Hunt a une image un peu plus modérée, une certaine stature car il a été longtemps ministre de la Santé, mais il a aussi perdu face à Johnson. Ça reste problématique s’ils doivent organiser une nouvelle élection et trouver quelqu’un qui fasse consensus. On parle même d’un retour de Boris Johnson, vous voyez où on en est, c’est vraiment le signe du désespoir. »
Notre dossier sur liz truss
Le parti travailliste émerge d’ores et déjà comme le grand gagnant des déboires de son adversaire historique. En ligne de mire : les prochaines élections législatives, qui se tiendront d’ici la fin de l’année 2024. « Le chaos est tel que même sans rien faire, ils tirent avantage de la situation, lâche Agnès Alexandre-Collier. Si les élections ont lieu courant 2023, je pense qu’on n’aura aucun mal à prédire la victoire des travaillistes. »