RESERVESQui de Kiev ou Moscou gagnera la bataille des réserves de munitions ?

Guerre en Ukraine : Après plus de six mois de combats, qui va gagner la bataille des réserves de munitions ?

RESERVESL'Ukraine fonctionne à flux tendu grâce aux Occidentaux, la Russie peut piocher dans les stocks soviétiques
Xavier Regnier

Xavier Regnier

L'essentiel

  • Après des mois à résister péniblement en demandant des armes à ses alliés, l'Ukraine a lancé une contre-offensive d'ampleur depuis le début du mois.
  • De son côté, la Russie maintient le mystère sur ses stocks, qui datent en partie de l'époque soviétique. Mais la stratégie semble être d'abandonner des munitions plutôt que des hommes en cas de besoin.
  • Pour Philippe Migault, directeur du Centre européen d'analyses stratégiques, « on ne peut pas gagner une guerre sans munitions ni hommes ». Il décrypte pour 20 Minutes l'état de l'industrie de guerre des deux pays.

Pendant des mois, Kiev a supplié ses alliés de lui fournir des armes toujours en plus grandes quantités, avant de soudainement lancer une contre-offensive d’ampleur. De son côté, la Russie continue de bombarder son adversaire, mais semble avoir éprouvé des difficultés à ravitailler ses troupes à mesure qu’elles progressaient en territoire ukrainien, étirant la ligne de front et détruisant toutes les infrastructures.

Des chars abandonnés aux lance-roquettes livrés au compte-gouttes, la guerre en Ukraine est aussi une guerre de l’équipement et des stocks. Mais qui est en mesure de remporter cette bataille ? L’Ukraine peut-elle gagner sans les précieuses munitions occidentales ? La Russie peut-elle terminer à sec ? 20 Minutes fait l’état des lieux avec Philippe Migault, directeur du Centre européen d’analyses stratégiques.

Que sait-on de l’état des stocks de munitions et d’armement de chaque pays ?

Par essence, il est impossible de connaître précisément l’état des stocks de l’armée russe ou ukrainienne, puisque « ces données sont classifiées », rappelle Philippe Migault à 20 Minutes. Néanmoins, l’expert des questions stratégiques rappelle un point important : « les Ukrainiens ont une industrie de défense très inférieure » et sérieusement endommagée, là où les Russes demeurent « le deuxième exportateur mondial » d’armement.

Ainsi, même privée de toute aide ou soumises à des sanctions, Moscou pourrait mettre en marche toute son industrie d’armement au service de la guerre. « Et sur les stocks, la Russie est entrée en guerre avec des armes et munitions d’époque soviétique dans des quantités énormes », souligne le chercheur. Datant de la guerre froide, des milliers de blindés, certes obsolètes aujourd’hui, pourraient donc être réparés sans nécessiter de technologie occidentale, juge-t-il. Toutefois, la guerre durant plus longtemps que prévu par le Kremlin, « les chances d’un épuisement militaire russe sont bien plus élevées que celles d’un épuisement militaire ukrainien », estimait récemment Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) lors du forum sécuritaire de la Mer Noire et des Balkans.

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La Russie pourrait avoir un autre atout dans sa manche : depuis quelques jours, des rumeurs circulent sur des livraisons d’armes par la Corée du Nord et l’Iran. Des débris d’un drone abattu par la défense ukrainienne ont été retrouvés, et pourraient prouver que le drone est de fabrication iranienne. En attendant, Philippe Migault « refuse de commenter » tant qu’il n’y a pas confirmation.

L’Ukraine est-elle suspendue à l’aide occidentale ?

L’industrie de l’armement ukrainienne étant l’une des cibles principales des bombardements russes, il devient difficile pour Kiev de produire et réparer ses propres armes. L’Ukraine se trouve ainsi « dépendante de l’aide de l’industrie occidentale », résume Philippe Migault. Ce qui pose de nombreuses limites. « Il faut que cette industrie produise plus, qu’elle achemine le matériel à la frontière ukrainienne puis sur le front, et que les Ukrainiens soient formés », liste-t-il. Bien plus compliqué que pour la Russie, qui peut au moins amener ses armes très vite à la frontière.

Mais cette aide peut-elle durer ? « L’exemple allemand est éclairant », souligne le directeur du CEAS, alors que Berlin freine ses exportations d’armes. « L’armée allemande est dans un tel état de décrépitude qu’il faudrait déjà que le matériel marche pour le donner à l’Ukraine », sans compter que les Allemands « se rendent compte que l’industrie allemande n’est pas viable sans gaz russe ». Pour le chercheur, « le temps passant et l’hiver approchant, les divisions vont grandir au sein de l’UE » sur le dossier ukrainien.

Celui qui videra son stock de munitions en premier sera-t-il forcément le perdant ?

« On ne peut pas gagner une guerre sans munitions ni hommes », cingle Philippe Migault. Le manque d’informations sur le nombre d’hommes engagés et hors combat vient perturber la lecture de l’équilibre des forces. Ainsi, Kiev indique avoir tué plus de 50.000 soldats russes depuis le début de la guerre, mais « ne communique jamais sur ses propres pertes », rappelle le chercheur. Or, vu « les très nombreux témoignages sur la puissance de l’artillerie russe, on peut imaginer qu’il y a eu des pertes lourdes ». A flux tendu sur l’équipement, contrainte de recourir à la mobilisation générale, l’armée ukrainienne joue sa contre-offensive à 100 % de ses capacités.

De l’autre côté, « on a vu des images de chars abandonnés​ mais pas de cadavres », relève Philippe Migault, ce qui lui fait dire que « les Russes sont économes en hommes », alors qu’ils sont en infériorité numérique au front. « Celui qui risque de perdre la bataille de l’attrition, c’est celui qui pourrait lancer la contre-offensive de trop », juge pour sa part Pierre Grasser, chercheur associé au laboratoire Sirice, dans un entretien à l’AFP. Et surtout celui « qui aura eu la saignée la plus importante », conclut Philippe Migault.