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Loin du front, les Ukrainiennes ont « repris les obligations » des hommes

Guerre en Ukraine : Loin du front, les femmes ont « repris les obligations » des hommes, raconte Iryna Tuz

DANS L'OEIL D'IRYNA (3/4)Iryna Tuz, présidente de l’association Ukraine Libre à Toulouse et ex-journaliste, est de retour à Kiev et témoigne pour « 20 Minutes » de la vie quotidienne en période de guerre
Xavier Regnier

Xavier Regnier

L'essentiel

  • Iryna Tuz, Ukrainienne de 38 ans installée à Toulouse depuis 2010, préside l’association Ukraine Libre, qui récolte des dons humanitaires à destination de l’Ukraine. Laissant derrière elle son mari et ses deux enfants, elle est retournée en Ukraine voir ses parents et y superviser le travail de son association.
  • Iryna Tuk raconte à 20 Minutes la vie qui doucement reprend ses quartiers dans la capitale ukrainienne après cinq mois de conflit armé tout au long d’une série en quatre épisodes baptisée « Dans l’œil d’Iryna ».
  • Dans ce troisième épisode, l’ancienne journaliste raconte comment les Ukrainiennes, même loin du front, sont confrontées à la guerre au quotidien : en prenant la place des hommes partis au front au travail, en gérant l’absence, en levant des fonds, en subissant le deuil ou les violences sexuelles parfois.

Si les Ukrainiens sont unis derrière leur armée et la bannière jaune et bleu depuis le début de l’invasion russe, « la guerre a divisé la population selon le genre ». Le constat d’Iryna Tuz, après plusieurs semaines passées en Ukraine, est clair. Il y a, bien sûr, le front, dévolu aux hommes, puisque la mobilisation générale ne s’applique pour le moment qu’à eux. Et puis l’arrière, presque à la manière de la Première Guerre mondiale, où les femmes, si elles ne sont pas seules, comblent tous les trous et ont « repris les obligations » des hommes : santé, préparation des armes ou des rations, travaux…

Dans les rues de Kiev, « il n’y a pas forcément plus de femmes », mais les hommes sont « beaucoup en uniformes », témoigne l’Ukrainienne pour 20 Minutes. Elle se souvient notamment d’avoir croisé « deux militaires dans une bijouterie », en quête d’un cadeau pour leurs épouses grâce au « salaire conséquent » que leur verse l’armée. En ce moment, les bracelets et les colliers avec un tryzub, le trident symbole de l’Ukraine, remportent d’ailleurs un franc succès.

« Donner de son temps permet de sauver des gens »

Car dans une « société ukrainienne pas machiste », les femmes ne sont pas oubliées. Au sujet de sa compagne, un ami d’Iryna, engagé sous les drapeaux, lui confie qu'« elle pleure souvent, mais elle tient car elle n’a pas le choix, il y a les enfants ». Pour garder confiance, elle participe aux campagnes d’appel aux dons pour l’armée. D’autres cousent des filets de camouflage pour les snipers.

Deux amies d’Iryna, Ukrainiennes vivant en France, n’ont pas hésité à retourner en Ukraine pour s’investir dans les centres de bénévolat, où les femmes sont nombreuses. L’une d’elles y est depuis cinq mois, et prépare « des approvisionnements en équipements » pour les troupes, fait jouer ses contacts « pour avoir treize gilets pare-balles au prix de dix ». L’autre, Natalia, que nous avons pu joindre, « aide à préparer les sacs de nourriture et à les distribuer dans les villages » où il y en a besoin depuis deux mois. « Donner de son temps permet de sauver des gens », résume Iryna Tuz.

Manifestantes, veuves et déplacées

Les femmes mènent aussi leurs propres combats. Dans la rue, elles « organisent » et constituent l’écrasante majorité des « manifestations de soutien » à l’armée, réclamant la libération de prisonniers de guerre. Fin avril, ce sont même trois jeunes femmes qui sont parties à pied de Kiev pour rejoindre le Vatican, en quête d’un soutien européen pour faire libérer leurs compagnons. « Il ne faut pas oublier Olenivka », prison bombardée où se trouvaient « au moins cinq autres formations que le bataillon Azov » et sur laquelle Moscou ne laisse filtrer aucune information, explique Iryna.

A Lviv, « ma cousine a participé à plusieurs de ces rassemblements », précise-t-elle. Dans l’ouest de l’Ukraine, l’ancienne journaliste raconte aussi les « nouvelles parcelles » d’un cimetière, couvertes de croix « avec un drapeau ukrainien et un drapeau rouge et noir ». Signe qu’un soldat est enterré là, et que le pays compte probablement une veuve ou un orphelin de plus.

Une Ukrainienne en pleurs sur le cercueil d'un soldat lors de son service funéraire à Kiev.
Une Ukrainienne en pleurs sur le cercueil d'un soldat lors de son service funéraire à Kiev. - Natacha Pisarenko/AP/SIPA

De nombreuses femmes sont aussi victimes de la guerre. Sur la route « parmi les réfugiés, la plupart sont des femmes seules ou avec enfant », raconte Iryna. « Dans les groupes WhatsApp de solidarité pour les réfugiés, il y a très peu d’hommes aussi. » Eux sont restés au front. Si elle n’a pas entendu de témoignage sur des violences sexuelles subies par les réfugiées, comme celui d'Elena au mois d'avril, violée par deux soldats russes, l’ancienne journaliste admet qu’on parle moins des « alertes sur le trafic d’adolescents » qu’au début de la guerre, alors que « le flux de migrations reste continu ». Comme les autres, ces femmes serrent les dents, tiennent, pleurent et attendent la fin de la guerre.