PARDONPourquoi le pape va-t-il s’excuser au Canada ?

Canada : Pourquoi le pape François va-t-il s’excuser auprès des populations autochtones ?

PARDONQuatorze ans après le gouvernement canadien et les autres Eglises, le Vatican va enfin s'excuser pour son rôle dans les pensionnats pour enfants indiens
Xavier Regnier

Xavier Regnier

L'essentiel

  • Le pape François est en visite au Canada pour six jours.
  • Cette visite est consacrée en majorité à des messes et à des rencontres avec les peuples autochtones, alors que des excuses de l’Eglise catholique sont attendues.
  • Entre la fin du XIXe siècle et 1996, l’Eglise a administré de nombreux pensionnats, dans lesquels étaient placés de force des enfants indiens pour les couper de leur culture d’origine.

Non, le pape François n’est pas en quête de fraîcheur avec sa visite au Canada. Jeudi, il fera d’ailleurs un bon 30 °C sous le ciel bleu d’Edmonton, où a atterri le souverain pontife. Et loin de lui l’idée de faire du prosélytisme, même si 44 % de la population du pays est catholique. Non, la raison de cette traversée de l’Atlantique pour l’Argentin de 85 ans tient en deux mots : « pèlerinage pénitentiel ».

Quelques semaines après de premières excuses au Vatican, le pape devrait demander pardon aux peuples autochtones, Premières nations, métis et inuits. Car si l’histoire est peu connue en France, le rôle de l’Eglise catholique dans la destruction des identités amérindiennes au Canada est bien réel. Pour le comprendre, il faut remonter aux années 1880, quand le gouvernement fédéral signe un partenariat avec les différentes églises pour mettre en place, sur le système des Etats-Unis, un réseau de pensionnats destinés aux enfants autochtones.

« Tuer l’Indien dans le cœur de l’enfant »

Le but, alors que les colons sont de plus en plus nombreux et veulent exploiter le territoire, est « d’éloigner l’enfant de sa famille, de le couper de sa culture d’origine pour faciliter son assimilation », explique à 20 Minutes Franck Miroux, docteur en études anglophones spécialisé dans les peuples autochtones du Canada. Une devise suffit à résumer cet objectif : « Tuer l’Indien dans le cœur de l’enfant ». A cette époque, l’Eglise catholique administre environ 60 % de ces pensionnats, financés par le gouvernement canadien, dans lesquels passeront 150.000 enfants.

Dans ces pensionnats, « les enfants vivent des violences, certains sont violés, mais tous ont surtout subi le traumatisme de la coupure avec leur famille à l’âge de cinq ou six ans », pointe le professeur agrégé d’anglais. Des enfants « privés d’amour et d’attention » en plus de leur culture, qui auront ensuite « du mal à se positionner en tant que parent », deviennent parfois dysfonctionnels, violents ou alcooliques. Les pensionnats, qui ferment leurs portes à partir des années 1970, ont « encore des conséquences sur les générations actuelles », raconte le chercheur à l’Université Toulouse Jean-Jaurès.

Le Vatican, dernier muet

Alors que les deux derniers pensionnats ferment en 1996, les premiers témoignages émergent. « Là où les autochtones ont été intelligents, c’est qu’ils ont fait des actions communes en justice », précise Franck Miroux. Le gouvernement canadien prend les devants avant une éventuelle sanction judiciaire, et met en place « une convention de règlement avec quatre volets », dont deux de réparations financières, un portant sur la mémoire des pensionnats. Le dernier consiste en une « commission de vérité et réconciliation », au travail entre 2008 et 2015. C’est aussi en 2008 que le Canada et les différentes Eglises impliquées s’excusent. Mais pas l’Eglise catholique.

La plaie s’ouvre à nouveau en 2019 et en 2021, lorsque plus de 1.300 sépultures sont mises au jour près d’anciens pensionnats. « Pas de fosse commune, pas de charnier, comme on a pu le dire par erreur, mais des tombes d’enfants non marquées, dont les parents n’ont pas été informés », souligne le chercheur toulousain. À nouveau, le Vatican reste muet, et « cela a provoqué beaucoup d’incompréhension et de colère chez les autochtones, des églises ont été brûlées dans l’Ouest canadien. »

Apaiser les souffrances individuelles

La visite d’une délégation autochtone au Vatican, puis les excuses depuis Rome du souverain pontife au mois d’avril, ont marqué les premiers pas vers le partage de cette mémoire douloureuse. La visite du pape au Canada doit l’entériner. « L’enjeu symbolique est très important », insiste Franck Miroux, qui fait de cette visite une question de « souffrances personnelles qui peuvent être apaisées ». « J’espère que cette visite est le début d’un changement dans l’histoire et une façon pour nous de commencer notre parcours de guérison », a ainsi déclaré George Arcand Jr., grand chef de la Confédération des Premières Nations du Traité n. 6, à la télévision publique canadienne.

Beaucoup espèrent aussi des gestes symboliques, comme le rapatriement de certains et objets d’art autochtones conservés au Vatican depuis des décennies. Mais Franck Miroux n’y voit pas d’autres conséquences directes, puisque « le volet judiciaire et financier est refermé ». Le déplacement inédit du pape a toutefois un autre intérêt selon lui : remettre en lumière « la situation des communautés autochtones, qui reste très précaire ».