CHINECai Chongguo: «Tiananmen a propagé la loi du plus fort»

Cai Chongguo: «Tiananmen a propagé la loi du plus fort»

CHINEDissident chinois exilé en France, il revient sur les événements de 1989 et leur impact sur la Chine d'aujourd'hui...
Recueilli par Faustine Vincent

Recueilli par Faustine Vincent

Quelle image gardez-vous des événements de Tiananmen?

Les visages de joie et d'espoir des jeunes filles en avril 1989, de peur et de colère en mai, puis de tristesse et d'indignation en juin [après la répression sanglante les 3 et 4 juin de ce mouvement étudiant pour la démocratie]. La Chine a raté une occasion unique dans son histoire de permettre une démocratisation pacifique.

Quelles conséquences ces événements ont-ils eues sur le pays?

Après 1989, le Parti communiste chinois a abandonné ses ambitions politiques. Le seul but aujourd'hui, c'est de préserver la stabilité sociale, en renforçant le contrôle sur la presse et en donnant tous les pouvoirs aux gouvernements locaux, dont les abus sont devenus insupportables pour la population. La répression de Tiananmen a propagé la philosophie de la loi du plus fort.

Vingt ans après, ces événements restent tabous en Chine...

Oui. Mais pour la première fois, dix-neuf intellectuels connus ont tenu un séminaire sur le sujet à Pékin, puis ont mis en ligne un compte rendu. Sur Internet, la révolte est immense. Il existe 70 millions de blogs en Chine. Beaucoup d'internautes parlent de ces événements. Ils le font de façon détournée pour éviter la censure. Et à l'approche de la date anniversaire, certains ont mis leur blog en noir en signe de deuil. C'est une façon de résister, et une première étape pour établir la vérité.

Beaucoup de jeunes Chinois oscillent malgré tout entre ignorance et indifférence à propos de Tiananmen. Comment l'expliquez-vous ?

Notamment par la précarité de ces jeunes. Beaucoup doivent travailler pour payer leurs études, et 60 % ne trouvent pas d'emploi à l'arrivée. Ils sont moins disponibles qu'avant pour penser à la politique. De plus, depuis vingt ans, on leur interdit de parler de Tiananmen. C'est une génération sans connaissance de son histoire. Mais certains sont avides de la découvrir. On n'a jamais eu autant d'articles et de blogs critiquant le pouvoir en place. La série de scandales en 2008-2009 (lait frelaté, censure sur le nombre d'enfants enfouis sous une école après le séisme, etc.) a suscité la colère, qui peut se transformer en action.

Une révolte prodémocratique comme celle de Tiananmen pourrait-elle se produire aujourd'hui ?

Ce serait sous une forme plus dispersée. Il y a vingt ans, les étudiants et les intellectuels étaient les acteurs principaux de la contestation. Aujourd'hui, ce sont les ouvriers et les paysans, soutenus par des avocats et des journalistes. Il n'y a pas de mouvement global de révolte aujourd'hui. Mais dans trois ou cinq ans, la Chine évoluera de façon encore plus profonde.

La Chine est-elle plus démocratique qu'avant ?

Non. Elle a fait des progrès dans certains domaines, comme la législation du travail et le développement d'Internet. Elle régule la corruption. Mais elle a renforcé le contrôle de la politique.

Retrouvez le blog de Cai Chongguo sur caichongguo.blog.lemonde.fr.