REPORTAGEAu cœur de la forêt en Estonie avec les chasseurs alpins français

Guerre en Ukraine : Au cœur de la forêt en Estonie avec les chasseurs alpins français

REPORTAGE« 20 Minutes » a pu suivre exceptionnellement un exercice du 7e bataillon de chasseurs alpins de Varces, déployé en Estonie dans une mission de réassurance des forces de l’Otan sur le front est de l’Europe
Guerre en Ukraine : Dans la forêt en Estonie avec un bataillon de chasseurs alpins
De notre envoyé spécial en Estonie Mickaël Bosredon

De notre envoyé spécial en Estonie Mickaël Bosredon

L'essentiel

  • Une partie du 7e bataillon de chasseurs alpins (BCA) de Varces (Isère) a dû se mobiliser en urgence après l’invasion russe en Ukraine, pour venir renforcer le flanc est de l’Europe.
  • Cette unité légère d’infanterie, capable de tenir des positions de longue durée en milieu hostile, viendra en complément des éléments blindés des Danois et des Britanniques en Estonie.
  • Le terrain en Estonie, plat, boisé, venteux, est très différent des montagnes que ces soldats pratiquent d’ordinaire.

Les soldats ont dû partir au quart de tour. Prévenue dès l’invasion russe en Ukraine, le 24 février, qu’il devait renforcer le dispositif militaire de l’Otan sur le flanc est de l’Europe, une partie du 7e bataillon de chasseurs alpins (BCA) de Varces (Isère) a débarqué en Estonie en moins de trois semaines. Nom de code de la mission : Lynx.

Leur objectif est de se préparer pour intégrer un « battle group » armé par les Anglais et les Danois - ce que l’on appelle un eFP (enhanced Forward Presence), dans le jargon Otan. « Nous sommes arrivés en deux vagues, explique le capitaine Guillaume, commandant d’unité de la compagnie d’infanterie du 7e BCA. Il y a d’abord eu les précurseurs, arrivés le 11 mars, et le gros de la troupe arrivé le 17 mars. C’est un déploiement dans des délais assez courts, sachant que nous n’étions pas d’alerte ; tout s’est accéléré de manière assez brutale. »

« Phase d’appropriation du terrain »

Avant d’intégrer ce « battle group » début avril, les Français s’entraînent entre eux, au cœur de la forêt estonienne, où la neige est encore bien présente en cette fin mars, et où les températures peuvent descendre jusqu’à - 15 °C la nuit. Exceptionnellement, 20 Minutes a pu suivre un des exercices de la compagnie, sur le terrain de Soodla, à une quarantaine de kilomètres de Tallinn.

le capitaine Guillaume, commandant d?unité de la compagnie d?infanterie du 7e BCA
le capitaine Guillaume, commandant d?unité de la compagnie d?infanterie du 7e BCA - Mickaël Bosredon/20Minutes

« Nous sommes pour le moment dans une phase d’appropriation du terrain », nous explique le capitaine Guillaume. Un terrain particulièrement hostile, même pour cette compagnie habituée aux conditions extrêmes. « C’est différent de ce que l’on connaît en France, poursuit le capitaine Guillaume. Ici on a beaucoup de vent, des marécages un peu partout… L’humidité se fait ressentir, et ça s’appréhende. On doit faire évoluer nos habitudes par rapport au matériel que l’on emporte, aux effets de rechange, indispensables pour tenir longtemps sur le terrain. »

Chaussettes de rechange et café sans fumée

Pendant les exercices où l’on simule des combats contre des adversaires, il faut, par exemple, bien penser à emporter plusieurs paires de chaussettes, pour les changer régulièrement à cause de l’humidité. Boire un café permet de se réchauffer lorsque l’on reste statique un long moment, mais attention à ne pas faire de fumée, qui pourrait être repérée par l’ennemi. De petits détails qui peuvent paraître anodins, mais les chasseurs alpins doivent être capables de tenir des positions de longue durée.

La bonne tenue du camp de base est également essentielle. Chaque camp est organisé autour d’un feu, près duquel les militaires se regroupent régulièrement pour se réchauffer, faire sécher leurs affaires. Notamment le duvet qui devient humide la nuit à cause de la condensation. Pour monter les tentes, « il a fallu commencer par piocher et pelleter la glace », nous raconte un soldat. « C’est quand même assez rustique, ici, enchaîne un autre. Le principal ennemi c’est le froid : la nuit, on a du mal à se réchauffer, et le matin, on a du mal à sortir des duvets… »

Une unité en complément des éléments blindés

L’autre particularité – l’essentielle, même – du 7e BCA, est d’être une troupe légère. « On peut évoluer à pied dans des zones difficiles d’accès en blindé » souligne le capitaine Guillaume. « Cette unité légère d’infanterie viendra ainsi en complément des éléments blindés des Danois et des Britanniques » complète le colonel Eric Mauger.

La compagnie est divisée en quatre sections, comprenant chacune plusieurs groupes. Nous suivons ce mercredi matin celui du sergent Jean-Baptiste, qui répète un exercice d’avancée de ses troupes en ligne et en colonne, pour « fixer » un véhicule ennemi repéré au loin, ce qui va permettre d’appuyer la progression de toute la section. « C’est un terrain plat, ce qui change de ce que l’on connaît en montagne, c’est plus difficile à traverser » pointe le sergent. Il y a effectivement moins de possibilités de se protéger.

Bulle de sûreté et évaluation des dégâts

Le groupe peut-être équipé de deux pièces d’artillerie pouvant tirer chacune deux missiles capables de détruire des véhicules blindés, ou d’une pièce et d’une mitrailleuse. Vu la configuration du terrain, c’est cette dernière option mixte qui a été choisie pour progresser vers l’ennemi. Un soldat simule un tir de missile. Le blindé adverse a été touché, l’ensemble du groupe peut monter à l’assaut. Une fois sur zone, les combattants effectuent une bulle de sûreté autour de leur objectif, et évaluent les dégâts.

Le sergent Jean-Baptiste, chef de groupe au sein du 7e bataillon de chasseurs alpins
Le sergent Jean-Baptiste, chef de groupe au sein du 7e bataillon de chasseurs alpins - Mickaël Bosredon/20Minutes

Deux soldats s’approchent d’un ennemi à terre. « On doit vérifier son état, le fouiller pour le désarmer et lui apporter les premiers soins s’il est encore en vie » détaille le sergent. « Après nous allons fouiller le véhicule pour voir s’il ne reste pas du monde à l’intérieur et détecter le matériel sensible. » Puis le groupe s’extrait le plus vite possible de la zone, pour éviter les tirs de mortier de renfort ennemi, qui aurait pu entendre les explosions.

Caisse à sable pour préparer la mission

Pendant ce temps le capitaine Guillaume prépare le grand exercice du lendemain. L’ensemble de la compagnie sera mobilisée pour effectuer la reprise d’un village - constitué de bâtiments en ruine - après une progression devant respecter des étapes bien précises. « Chaque section de la compagnie va manœuvrer et effectuer diverses missions, l’objectif étant de s’emparer du village, explique le capitaine. Tout cela se prépare, notamment à l’aide d’une caisse à sable, qui est une représentation du terrain sur laquelle je vais expliquer à mes subordonnés ce que j’attends d’eux, et comment je veux qu’ils évoluent. »

Une manœuvre à blanc est ainsi déroulée par le capitaine sur cette caisse à sable. Les chefs de section prennent des notes, posent des questions, à eux ensuite de décider qui fera quoi, réfléchir à ce qu’ils peuvent apporter à cette opération.

Posture dissuasive

Une fois que les 250 soldats français mobilisés en Estonie auront répété leurs exercices, appréhendé le terrain, ils intégreront dans quelques jours le « battle group » britannique et danois, qui sera lui-même intégré à la première brigade estonienne. « Les processus de travail ne sont pas forcément les mêmes, il s’agit donc d’apprendre de chacun » pointe le capitaine Guillaume.

Cette mission a été décidée pour renforcer la défense estonienne, « dans un cadre de réassurance des forces de l’Otan » insiste le capitaine. « Notre posture est dissuasive, défensive et préventive. » Et même si la Russie se trouve juste de l'autre côté de la frontière, pas question de pointer, officiellement, un ennemi en particulier.