Guerre en Ukraine : Pourquoi Kim Jong-un « saisit-il l'occasion » pour tirer ses missiles ?
STRATEGIE•Pendant que le monde entier a les yeux rivés sur l’Ukraine, Kim Jong-un, leader autoproclamé de la Corée du Nord, multiplie les tirs de missilesCamille Poher
L'essentiel
- Alors que le monde a les yeux rivés sur la menace russe, Pyongyang s’agite à nouveau.
- La Corée du Nord a tiré au moins un « projectile non identifié », a annoncé ce samedi l’armée sud-coréenne. Ce dernier pourrait constituer le 9e essai de missiles par le régime de Kim Jong-un depuis le début de l’année.
- Egotrip, dissuasion, recherche de légitimité... Mais à quoi joue Kim Jong-un avec ses missiles ?
Depuis quatorze jours, le monde entier a les yeux rivés sur l’Ukraine. Le conflit qui oppose Kiev à Moscou fait la une de l’actualité internationale et occupe le plus clair des journées de nos dirigeants occidentaux. Quand on est à la tête d’un régime communiste de type stalinien fonctionnant sur une logique totalitaire, l’absence de regard sur sa tambouille interne peut parfois donner des idées. Depuis le 27 janvier dernier, Kim Jong-un, le leader autoproclamé de la Corée du Nord a ainsi ressorti son artillerie lourde. A ce jour, le « chef suprême de la République populaire démocratique de Corée », célèbre son 9e essai balistique depuis le début de début de l’année et le seconde depuis le début de la guerre. Alors Kim Jong-un, trop mégalo pour ne pas faire la une ou justement trop malin pour ne pas y figurer ?
Avant toute chose, « il faut rappeler que depuis 2011 il y a eu des centaines d’essais balistiques en Corée du Nord », contextualise Antoine Bondaz, chercheur français et directeur du programme Corée du Nord à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Si, depuis 2017, aucun de ces missiles n’a eu de portée intercontinentale, « depuis le début de l’année 2022, l’objectif de ces essais est de tester la télémétrie soit les équipements qui permettent d’étudier la trajectoire et le comportement des missiles », ajoute le chercheur.
Le but officiel de ces armes 2.0 c’est le lancement spatial : « Kim Jong-un souhaite mettre un satellite en orbite », précise à 20 Minutes Antoine Bondaz. Mais sur le plan officieux, il y a deux objectifs à ces essais balistiques, l’un militaire et l’autre politique. « Le premier vise à dissuader voire impressionner des pays comme la Corée du Sud ou les Etats-Unis. Le second, qui fait plus écho à la personnalité même de Kim Jong-un, le légitimer au sein de son propre pays ». Pénurie alimentaire, crise du logement, crainte de Covid-19, etc., il faut dire que le leader n’est pas franchement ce qu’on appelle un «winner» depuis dix ans et ces missiles sont l’une de ses rares réussites.
Un leader en débâcle
Pour Leif-Eric Easley, professeur à l’université Ewha de Séoul « la force et la légitimité du régime de Kim Jong-un dépendent désormais de tests de missiles toujours meilleurs ». En d’autres termes, le leader de Pyongyang compte asseoir sa légitimité par le prisme d’un état techno nationaliste, soit un développement technologique au service de la sécurité de l’Etat.
Et dans ce contexte, « la Corée du Nord n’allait pas faire plaisir à quiconque en restant tranquille pendant que le reste du monde s’occupe de l’agression de la Russie contre l’Ukraine », affirme Leif-Eric Easley. Si la remise en route de ces essais après une trêve durant les JO de Pékin ne doit rien au hasard, elle ne semble pas pour autant être la résultante de la personnalité un brin mégalomaniaque de celui qui se fait aussi appeler « professeur de l’Humanité tout entière ». Selon Shin Beom-chul, chercheur au Research Institute for Economy and Society, Kim Jong-un relance simplement la machine. « Alors que l’intérêt des Etats-Unis s’est tourné vers l’Europe avec la crise en Ukraine et que le Conseil de sécurité s’avère incapable de fonctionner, Pyongyang a saisi l’occasion », explique l’analyste.
Une stratégie rodée
« La Corée du Nord ne fait pas d’essais pour attirer l’attention. C’est l’absence d’attention sur la Corée du Nord, dans ce contexte de guerre, qui pousse Kim Jong-un à réaliser ces essais. C’est différent », précise ainsi Antoine Bondaz. « En agissant à la fois pendant un conflit d’ampleur mondiale et pendant les élections présidentielles en Corée du Sud, il limite drastiquement l’attention que lui portent les dirigeants internationaux » , ajoute le chercheur.
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Si l’on en connaît trop peu sur la personnalité du leadeur nord coréen pour juger de la probabilité d’un potentiel egotrip sur ces essais, l’histoire nous prouve une chose, selon Antoine Bondaz : Kim Jong-un n’en a que faire qu’on parle de lui à Washington, à Pékin ou à Paris. « Ce qu’il veut, c’est la survie du régime, la légitimité de son pays mais surtout dissuader le reste du monde de venir le contrarier. »