ANALYSESaisir la Cour internationale de justice, un coup d’épée dans l’eau ?

Guerre en Ukraine : Saisir la Cour internationale de justice, un coup d'épée dans l'eau pour Kiev ?

ANALYSEDeux jours après le début de l’invasion, l’Ukraine a saisi la Cour internationale de justice sur l’intervention de la Russie sur son territoire. L’audience s’est tenue lundi à La Haye, en l’absence de représentants de Moscou
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • L’Ukraine a saisi la Cour internationale de justice deux jours après avoir été envahie par la Russie.
  • Une audience pour des mesures conservatoires a eu lieu ce lundi, mais en l’absence des représentants de Moscou, qui ne s’y sont pas rendus.
  • La décision est attendue dans les jours à venir.

L’audience devait se tenir sur deux jours : le premier consacré aux arguments de l’Ukraine, le second à ceux de la Russie. Finalement, la Cour internationale de justice (CIJ), basée à La Haye (Pays-Bas), n’aura siégé que quelques heures ce lundi, Moscou ayant finalement décidé de ne pas répondre aux accusations portées par Kiev. « Ils ne sont pas déplacés devant une cour de justice, ils sont sur le champ de bataille pour mener une guerre agressive », a dénoncé, devant l’organe judiciaire de l’ONU, Anton Korynevitch, à la tête de la délégation ukrainienne. Et d’évoquer les « bombes russes et les missiles qui tombent sur nos villes », les quelque 15.000 personnes qui passent le plus clair de leur temps à s’abriter dans les couloirs du métro de Kiev, les « millions » de personnes en danger… « Réglons nos différends de manière civilisée, a insisté le diplomate, représentant en Crimée de Volodymyr Zelensky. Déposez vos armes et montrez-nous vos preuves. »

De quelles preuves parle-t-il ? Retour en arrière : samedi 26 février, deux jours après le début de l’offensive russe en Ukraine, le gouvernement de Volodymyr Zelensky dépose une requête devant la Cour internationale de justice. Il accuse la Russie d’utiliser des arguments fallacieux pour justifier l’invasion du pays. « Cette guerre, a dit la Russie, est un moyen de stopper un génocide. Le matin même du jour où il a ordonné l’invasion de l’Ukraine, le président russe a déclaré : "nous devons stopper cette atrocité, ce génocide (…)" C’est un terrible mensonge, celui de Poutine, et nos concitoyens, les Ukrainiens, meurent », a résumé le diplomate.

« Juridiquement, la Russie avait les moyens de se défendre »

En clair : par sa requête, Kiev demande à l’organisation internationale d’établir que l’action militaire orchestrée par Vladimir Poutine est dépourvue de fondements juridiques. Et donc qu’elle est illégale. Il ne s’agit donc pas là de déterminer s’il y a violation de la souveraineté d’un Etat – la CIJ n’est pas habilitée à le faire dans ce dossier – mais de savoir si la Convention sur le génocide de 1948 a été instrumentalisée pour justifier cette action militaire russe.

« Juridiquement, la Russie avait les moyens de se défendre lundi devant la CIJ, assure Elsa Marie, docteure en droit public et spécialiste en droit international. En utilisant la Convention sur le génocide alors même que le fond du dossier concerne le conflit en cours, la démarche de l’Ukraine peut notamment être vue comme une instrumentalisation de la Cour. » Une argumentation d’autant plus fragile de la part de Kiev que la Russie, si elle parle effectivement de « dénazification » de l’Ukraine, ne s’appuie jamais explicitement sur la Convention de 1948.

Des mesures conservatoires ?

Ainsi, si l’action de Poutine est sans nul doute moralement condamnable, l’est-elle aussi du point de vue du droit international ? L’instruction d’une telle requête peut prendre des mois, voire des années, mais la CIJ doit se prononcer dans les jours à venir – probablement en fin de semaine ou au début de la prochaine – sur d’éventuelles « mesures conservatoires », une procédure d’urgence qui permet de geler la situation. Mais si celles-ci sont ordonnées, seront-elles appliquées ?

Théoriquement, les mesures prises par cette organisation sont contraignantes. Dans les faits, cependant, la Cour ne dispose d’aucun moyen contraignant. Ainsi, si elle ordonne un cessez-le-feu le temps d’étudier la requête ukrainienne, qui le fera appliquer sur le terrain ? L’absence des représentants de Moscou lundi à La Haye n’est pas un signe encourageant. « La Russie sait que le droit international compte. Sinon, pourquoi la Russie tenterait-elle de justifier son agression ? », a néanmoins espéré Anton Korynevitch.