Guerre en Ukraine : Que cache la main-tendue russe à des pourparlers ?
CONFLIT•Vladimir Poutine a proposé à deux reprises des pourparlers en vue de cesser le conflit armé, que l'Ukraine vient d'accepter. Un piège pour Zelensky ?Fabrice Pouliquen
L'essentiel
- Dans la nuit de mercredi à jeudi la Russie a lancé une attaque massive et rapide contre l’Ukraine, bombardant plusieurs grandes villes.
- Depuis, les combats n’ont pas cessé avec, côté ukrainien, au moins 198 civils, dont trois enfants, tués et 1.115 personnes blessées.
- La Russie a proposé à l’Ukraine d’ouvrir des pourparlers que cette dernière a accepté, mais le plus grand doute est permi sur les intentions réelles de la Russie.
«Bratislava, Budapest, Istanbul, Varsovie, Bakou… » En clair… N’importe quelle ville du moment qu’elle ne soit pas en Biélorussie, alors que le pays sert de base arrière à l’armée russe dans l’invasion de l’Ukraine. C’était la condition posée par Volodymir Zelensky, à la proposition russe de pourparlers à Gomel, deuxième ville de Biélorussie à 300 km au nord de Kiev, la capitale ukrainienne.
Cela sera finalement la frontière ukraino-bélarusse, « dans la région de la rivière Pripiat », vient d’annoncer, ce dimanche après-midi, la présidence ukrainienne, qui accepte donc ce qui ressemble à une main tendue de la Russie. Le flou demeure tout de même sur cette rencontre. L’Ukraine ne précise pas de date, par exemple, à la reprise de ces négociations. Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, lui, évoque ce dimanche et affirme toujours que la rencontre aura lieu dans la région de Gomel, sans plus de précisions.
Une façon de rejeter la responsabilité du combat sur l’Ukraine ?
Après quatre jours d’un conflit dont la violence n’a cessé de gagner en intensité, Russie et Ukraine devraient donc discuter. « Nous voulons la paix et mettre fin à la guerre », appuyait Volodymir Zelensky, ce dimanche matin. Mais que veut, de son côté, Vladimir Poutine ?
Tout en réitérant sa proposition de pourparlers – déjà faite vendredi – la Russie intensifie ses bombardements en Ukraine, notamment à Kharkiv, deuxième ville du pays et à quelques kilomètres de la frontière russe.
Carole Grimaud-Potter, professeure de la géopolitique de la Russie (Université Montpellier, Institut diplomatique de Paris), commence par replacer cette ouverture russe aux négociations dans le contexte de la guerre d’informations et d’usure qui se joue aussi en ce moment. « Samedi déjà, la présidence russe assurait avoir fait une demande d’ouverture de négociations, ce vendredi, et avoir demandé à son armée de stopper son avancée en Ukraine, rappelle-t-elle. Une trêve qu’elle disait rejetée par Zelensky. C’est une façon aussi de tenter de rejeter la responsabilité des combats en cours sur les Ukrainiens. » Une lecture que fait aussi Philippe Moreau Defarges, politologue français et chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri) : « Dès lors qu’elle agressait l’Ukraine, il fallait que la Russie fasse en même temps des gestes de paix. »
« Les Russes devaient s’attendre à cette résistance farouche »
Mais faut-il voir aussi, dans cette proposition de pourparlers la recherche d’une porte de sortie à un conflit parti pour durer plus longtemps que prévu ? C’est que Kiev résiste toujours à l’armée russe.
Kharkiv, deuxième ville du pays est « sous notre contrôle total », annonçait dimanche Oleg Sinegoubov, gouverneur de la région de Kharkiv. « Les forces russes, pratiquement attaquées tous azimuts, sont en train de mesurer le poids d’une guerre totale », analyse, sur les ondes de BFMTV, Jean-Paul Paloméros, ancien chef d’État major de l’armée de l’air et commandant allié Transformation au sein de l’OTAN.
De là à dire que Vladimir Poutine est surpris de la résistance ukrainienne ? Caroline Grimaud-Potter ne le croit pas « Les Russes connaissent bien les Ukrainiens, ils devaient s’attendre à cette résistance farouche de leur part, estime-t-elle. Par le passé, l’Ukraine est un pays qui a toujours combattu des tentatives d’annexion et d’invasion. C’est un peuple combattant et c’est d’ailleurs un axe fort de leur historiographie. Le pays répète descendre des cosaques. » Vladimir Poutine a d’ailleurs pu se rendre compte ces dernières années de la force de riposte de l’armée ukrainienne. « Certes, la Russie a annexé la Crimée sans difficulté en 2014, reprend Caroline Grimaud-Potter. En revanche, l’Ukraine n’a pas lâché le Donbass, par exemple, face aux assauts des séparatistes pro-russes, un conflit qui dure depuis 2014. »
Une riposte internationale sous-estimée ?
Pour la professeure de géopolitique, la Russie a étudié tous les scénarios avant son offensive, dont celui d’un conflit qui risquerait de s’enliser. « Mais sans doute que Moscou estimait que les pays occidentaux feraient plus pression sur Zelensky pour qu’il accepte de rentrer au plus vite dans une phase de pourparlers, reprend-elle. Or, ce n’est pas du tout ce qui se passe. » L’heure est bien plus, en particulier au sein de l’Union européenne, à l’envoi des aides financières et militaires à l’Ukraine pour lui permettre de se défendre. Les pays de l’UE ont commencé à livrer des quantités « significatives » d’armements, affirmaient ce dimanche plusieurs responsables européens et une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’UE se tiendra ce dimanche à 18h (heure de Paris) pour coordonner ces initiatives.
Si la Russie semble prête à faire face à ces sanctions économiques internationales, en revanche, « elle est en train de se rendre compte, à travers la condamnation quasi-unanime dans le monde de son offensive en Ukraine, que tous ses efforts de « soft power » entrepris ces dernières années, pour se donner une image plus policée à l’international, sont en train de tomber par terre », analyse Caroline Grimaud-Potter.
Des pourparlers « pour gagner du temps » ?
Si Zelensky semble avoir déjoué le piége Goumel – « il pouvait très clairement craindre être emprisonné en entrant en Bielorussie », estime Caroline Grimaud-Potter-, reste à savoir ce qu’on peut attendre de cette reprise des négociations entre la Russie et l’Ukraine. « Rien, tranche Philippe Moreau Defarges. Ces pourparlers semblent plutôt avoir pour but, côté russe, de gagner du temps. Mais on voit mal, à ce stade, comment Russes et Ukrainiens pourraient trouver un terrain d’entente. »
Côté ukrainien, les revendications sont claires : l’arrêt des combats et le retrait immédiat des troupes russes… Mais côté russe ? « Ils poseront très certainement sur la table plusieurs concessions, reprend Caroline Grimaud-Potter. Demanderont-ils la garantie d’une non-adhésion de l’Ukraine à l’Otan [l’une des justifications russes à ce conflit] ? Pousseront-ils à une partition en deux de l’Ukraine avec un gouvernement pro-russe dans la partie Est ? C’est difficile de répondre à ce stade. » Philippe Moreau Defarges pense que la Russie vise bien plus loin encore : « Annexer toute l’Ukraine ni plus ni moins. C’est tout le pays en tout cas que l’armée russe attaque aujourd’hui. »