EUROPEUkraine, Russie et Biélorussie, des relations passionnelles historiques

Guerre en Ukraine : Ukraine, Russie, Biélorussie… Quels sont les liens historiques de ces trois Etats slaves ?

EUROPEAlors que les militaires ont envahi l’Ukraine depuis la Russie et la Biélorussie dans la nuit de mercredi à jeudi, « 20 Minutes » revient sur les relations historiques qui lient ces pays depuis des siècles
Cécile de Sèze

Cécile de Sèze

L'essentiel

  • La Russie est entrée en Ukraine dans la nuit de mercredi à jeudi, depuis son territoire et celui de la Biélorussie et a bombardé plusieurs villes du pays.
  • Selon Vladimir Poutine, Ukrainiens, Russes et Biélorusses ne forment qu’un seul peuple et l’Ukraine ne devrait pas exister en tant qu’Etat indépendant.
  • L’histoire de ces trois pays slaves est néanmoins bien plus complexe que le discours de propagande russe.

L’Ukraine est aussi appelée « le berceau de la civilisation slave orientale ». Un surnom qui remonte au temps des premières églises orthodoxes slaves, fondées par les princes du Rus' (ou Rous) de Kiev au IX siècle, explique Samantha de Bendern, chercheuse dans le département Russie-Eurasie à la Royal Institute of International Affairs de Londres, à 20 Minutes. « Puis, au fil des siècles, l’intérêt a été poussé vers l’Est, vers Moscou », poursuit-elle.

L’Ukraine est ce jeudi la cible d’une agression militaire de la Russie. Le dirigeant russe, Vladimir Poutine, a annoncé le lancement d’une opération militaire, avec l’entrée de troupes au sol et les bombardements de plusieurs villes, s’appuyant sur divers arguments à teneur historique, mais souvent faux. Car, « aujourd’hui toute interprétation de l’histoire de l’orthodoxie slave est devenue otage des historiens selon leur point de vue idéologique, prévient Samantha de Bendern. Kiev, c’est un peu la Jérusalem des Orthodoxes ».

L’idée tsariste et poutiniste d’un même peuple russe, biélorusse et ukrainien

Les prétextes historiques de Vladimir Poutine font écho avec une doctrine dominante au temps des Tsars. Pour le chef du Kremlin, Ukrainiens, Biélorusses et Russes ne forment qu’un peuple issu de la même histoire. Une pensée largement répandue à l’époque de Nicolas II, dernier tsar russe, quand « la dynastie des Romanov se voyait comme l’héritière directe de celle de Kiev », expliquait à Mediapart en 2014 Iaroslav Lebedynsky, historien français d’origine ukrainienne.

Ainsi, si le dictateur russe « estime que l’Ukraine ou la Biélorussie sont des Etats artificiels qui n’ont pas lieu d’être », souligne la chercheuse spécialiste de la Russie, ces pays ont pourtant existé par eux-mêmes avant l’ère bolchevique puis soviétique. Mais les frontières n’étaient pas dessinées comme actuellement. « Des morceaux de l’Ukraine [actuelle] ont fait partie de l’Empire austro-hongrois, puis de la Pologne, du Grand-duché de Lituanie, et une partie a appartenu à l’Empire russe », rappelle Samantha de Bendern.

Une « ukrainisation » mal vue en URSS

En 1917, l’Ukraine a même pu vivre en tant qu’Etat plus ou moins indépendant avant d’être rattachée à l’URSS comme une des quinze républiques indépendantes. Au début, « ils reconnaissent dans un premier temps le peuple ukrainien et sa langue : c’est en tout cas le discours léniniste des premières années, motivé par des raisons tactiques et entretenu jusque dans les années 1920 », explique encore Iaroslav Lebedynsky.

La pensée initiale selon laquelle les trois peuples slaves orientaux, que sont les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses, ne forment qu’un seul peuple revient sous Staline face à une trop forte « ukrainisation », comme le décrit l’historien Iaroslav Lebedynsky. « Mais au fond, je suis persuadé que les élites russes n’ont jamais cru à cette théorie du même peuple, qu’elles ont toujours été profondément informées du fait ukrainien et profondément désireuses en même temps de le détruire », ajoute-t-il.

Pour Samantha de Bendern, il y a même ici un paradoxe, car si on suit le discours de Vladimir Poutine qui considère qu’Ukrainiens et Russes ne font qu’un, « il bombarde son propre peuple ».

Une identité ukrainienne forgée en opposition à l’URSS

L’identité ukrainienne va par la suite se forger et se renforcer en réponse aux agressions staliniennes, notamment la famine créée artificiellement par le dictateur communiste, qui a fait entre trois à cinq millions de morts. « Cela fait partie de la création de l’identité ukrainienne », souligne Samantha de Bendern.

La catastrophe de Tchernobyl va encore un peu plus affirmer cette identité en opposition à la Russie. « Les Ukrainiens se sont sentis trahis par Moscou qui n’a pas informé la population de l’incident », rappelle la chercheuse. D’autant que selon Iaroslav Lebedynsky, « les Ukrainiens se sont toujours vus comme les premières victimes de l’impérialisme russe et à la pointe du combat contre ce dernier. » Les deux spécialistes insistent sur le même point : l’histoire de ces peuples est bien plus complexe que les faits exposés par les deux parties.

Des populations liées au-delà des conflits

Néanmoins, au-delà des discours politiques et des conflits géostratégiques, les populations russes, ukrainiennes et biélorusses sont très proches. On trouve des trois nationalités dans les trois pays. « Beaucoup de familles russes et ukrainiennes ont de membres de leur famille au-delà de la frontière », souligne Samantha de Bendern, et beaucoup d’opposants biélorusses au président en place se sont réfugiés en Ukraine. « Il existe une grande solidarité entre les peuples », poursuit-elle.

Aujourd’hui, le chef d’Etat à la tête de la Biélorussie, Alexandre Loukachenko, est très proche de Vladimir Poutine, à l'instar des deux pays, quand l’Ukraine, elle, s’est tournée vers l’Europe et s’est ainsi attiré l’ire de Moscou.