Etats-Unis : Après un an de mandat, la présidence de Joe Biden est-elle déjà foutue ?
BILAN•Alors que son énorme plan social et écologique est en passe d’être détricoté, le président démocrate affiche un bilan en demi-teinte un an après son accès au pouvoirXavier Regnier
L'essentiel
- Près d’un an après son investiture, le président américain Joe Biden a subi un camouflet ces derniers jours avec le refus d’un sénateur démocrate de voter son grand texte social et écologique.
- Alors que son mandat avait plutôt bien commencé, notamment avec un grand plan de relance économique, la majorité de Joe Biden est menacée et les sondages très mauvais en vue des élections de mi-mandat.
- Plan d’infrastructures, Covid-19, Afghanistan et rôle de Kamala Harris, 20 Minutes fait le bilan de cette première année de l’Amérique de Joe Biden avec deux experts.
«Je ne peux pas voter pour ça. » En annonçant sur la chaîne ultra-conservatrice Fox News son opposition au plan « Build Back Better », le sénateur démocrate Joe Manchin a fait souffler un petit vent de panique sur la Maison Blanche. Voilà le gigantesque plan de réformes sociales et écologiques, d’un budget de 1.750 milliards de dollars et qui pouvait faire passer Joe Biden pour un Roosevelt du XXIe siècle, bloqué par un membre de son propre camp. Forcément, ça fait désordre, surtout après le retour des talibans en Afghanistan et une inflation galopante. De là à dire que la présidence Biden est déjà foutue, un an après son élection ? 20 Minutes fait le bilan.
Plan d’aide, plan d’investissement, des arguments solides
En plus d’avoir passé ses premières semaines à détricoter les mesures les plus conservatrices de Donald Trump, Joe Biden a signé une belle victoire au printemps : un gigantesque plan de relance de 1.900 milliards de dollars pour ressusciter une économie américaine mise à mal par le Covid-19, « très important et passé rapidement », signale Nicole Bacharan, politologue autrice de Les grands jours qui ont changé l’Amérique. Autre grande réussite du Pennsylvanien, son plan pour les infrastructures, qui doit relancer « une Amérique vieillissante, où les routes sont pleines de nid-de-poule, où l’on se demande si on va passer sur le pont, où l’on n’a plus accès à Internet en dehors des villes », liste Jean-Eric Branaa, maître de conférences à la Sorbonne spécialisé en politique américaine.
Cinquante milliards de dollars ont déjà été débloqués pour ouvrir l’accès à l’eau douce dans certaines zones et autant pour changer les canalisations en plomb. Mais la transformation, plus qu’utile pour un pays « limite tiers-monde » par endroits, selon Nicole Bacharan, va prendre du temps. Au moins dix ans. Et les Américains n’en voient pas encore les effets, même si ce plan va générer de nombreux emplois.
Emploi, Covid-19 et inflation, entre bonne gestion et conjoncture
Niveau chômage justement, tous les feux sont au vert. Tombé à 4,4 % en décembre, « on annonce un taux de chômage sous les 4 % en janvier, ce qui était l’objectif pour juillet 2022 », pointe Jean-Eric Branaa. Signe que la reprise économique forte est une réussite, malgré l’inflation galopante. Un « corollaire » selon l’enseignant, puisque les gens consomment et ont vu leur salaire augmenter après des négociations tendues quand la main-d’œuvre s’est faite rare. S’il peut difficilement agir sur cette hausse des prix conjoncturelle, le président peut craindre qu’elle lui coûte les « midterms ».
Autre situation préoccupante au quotidien pour les Américains, l’épidémie de Covid-19 connaît un nouveau souffle avec le variant Omicron, qui représente 73 % des contaminations aux Etats-Unis. Là encore, difficile pour Joe Biden de faire mieux, puisque ses efforts sur la vaccination sont limités par la « propagande antivax des républicains », se désole Nicole Bacharan. Malgré tout, « la présence de l’armée dans les hôpitaux plaît, car on sent qu’il y a un pilote à bord », image Jean-Eric Branaa.
Le délitement des démocrates
Pour Joe Biden, l’ennemi est peut-être à l’intérieur. Elu pour ramener un peu de paix au quotidien après une présidence Trump marquée par les coups d’éclat, le voilà désavoué en direct dans un média républicain par un homme de son camp, Joe Manchin. « La promesse d’unité de Biden est un échec », estime Jean-Eric Branaa, qui compare les deux ailes du camp démocrate à « deux gamins qui se battent dans la cour d’école ». Au Sénat, où les deux grands partis du pays sont à égalité, le président se retrouve à la merci du moindre élu qui a envie de le bloquer, ce qui n’est jamais très bon en termes de leadership. Ces disputes internes lassent les électeurs, qui ont infligé une défaite aux démocrates en Virginie, alors que le siège de gouverneur était promis à Terry McAuliffe.
Reste le cas symbolique du plan « Build Back Better », qui devait « transformer l’Amérique » sur le plan social et environnemental. « Création d’écoles maternelles publiques, congé parental », cite Jean-Eric Branaa à propos du plan imaginé par Bernie Sanders. Tout cela n’existe pas outre-Atlantique. « Cela n’aura aucune importance sur le plan électoral », prévient-il. D’autant que Joe Manchin « fait de la politique » avec sa déclaration, puisque le Congrès est en vacances et que son opposition a été exprimée au conditionnel. Ce qui promet des fêtes pleines de tractations selon le maître de conférences, pour qui le « BBB » n’est pas mort.
Stigmates du Moyen-Orient
S’il y a bien un dossier qui peut porter préjudice à la présidence de Joe Biden, c’est bien le retrait des troupes d’Afghanistan, plongeant aussitôt le pays dans le chaos avec le retour des talibans. Convoquant la mémoire des images de Saigon en 1975, Nicole Bacharan s’est dit que « Joe Biden ne s’en relèvera pas ». Apparu « dépassé, affaibli » selon elle, le président a bien tenté de charger Donald Trump, qui avait engagé ce retrait. « Mais rien ne l’empêchait de défaire cette décision comme les autres », souligne la politologue. Jean-Eric Branaa a beau assurer que « c’est bien vécu aux Etats-Unis d’arrêter d’envoyer des soldats et de l’argent à l’étranger », l’impression d’une débacle reste.
Surtout que le président américain ne s’est pas montré plus habile ailleurs. D’abord en se brouillant avec la France au sujet des sous-marins en Australie, puis en peinant à faire contrepoids au Kremlin lors de la crise à la frontière biélorusse. Alors que Poutine semble préparer une attaque en Ukraine, « rien ne marche » en Chine et encore moins en Iran, qui veut toujours se doter de l’arme nucléaire, selon Nicole Bacharan.
Kamala Harris, future présidente en apprentissage ?
Au quotidien, ce n’est pourtant pas Joe Biden qui est le plus attaqué par ses adversaires politiques, mais bien Kamala Harris. Quasiment propulsée au rang d’icône pendant la campagne, la vice-présidente doit aujourd’hui se faire plus discrète constitutionnellement. « Elle n’a aucune fonction dans l’exécutif, elle ne peut pas se mettre en avant, les décisions qu’elle prend dans les groupes de travail ne sont pas rendues publiques », explique Nicole Bacharan.
Mais « on a déjà la candidate démocrate pour 2024 », avance Jean-Eric Branaa, « aucun leader démocrate n’est en capacité de rivaliser avec elle ». Alors, les républicains « cherchent à l’affaiblir le plus possible avant le début officiel de la campagne ». Une tâche d’autant plus facile que la vice-présidente gère des dossiers « insolubles, comme l’immigration à la frontière mexicaine ou le droit de vote », souligne Nicole Bacharan, et sur lesquelles la Californienne n’a aucune expérience.
Notre dossier sur Joe Biden
Mais à l’heure de faire le bilan, c’est bien l’action du président qui compte. Et comme en Virginie, les électeurs pourraient exprimer lors des élections de mi-mandat leur lassitude du Covid-19, des dissensions chez les démocrates et de la situation économique en berne. « Alors qu’il a déjà une majorité extrêmement serrée, Joe Biden pourra être paralysé », alerte Nicole Bacharan. Et sa présidence bonne à jeter.