Que se passe-t-il à la frontière polonaise, où s’amassent des migrants ?

Pologne : Quels enjeux politiques se jouent à la frontière bélarusse, où sont bloqués des milliers de migrants ?

MIGRATIONDes milliers de migrants, bloqués volontairement à la frontière polonaise, sont utilisés par la Biélorussie pour faire pression sur l’Union européenne
Migrants : Que se passe-t-il à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie ?
Marie De Fournas

Marie De Fournas

L'essentiel

  • Plus de 2.000 migrants sont actuellement coincés à la frontière polonaise, volontairement amenés sur place par les autorités biélorusses.
  • Le gouvernement d’Alexandre Loukachenko instrumentalise ces personnes pour faire pression sur l’Union européenne et l’obliger à abandonner les sanctions prises envers son régime.
  • De son côté, la Pologne, en froid avec l’Union européenne et intransigeante sur la question des migrants, bloque la situation en refusant toute intervention extérieure.

Depuis plusieurs semaines, de rares images de presse et des vidéos tournées par les forces de l’ordre polonaises montrent des migrants massés à la frontière avec la Biélorussie. Ils seraient des milliers à vouloir entrer dans l’Union européenne. La Pologne les empêche de pénétrer sur son sol, et impossible pour eux de faire marche arrière : ils sont bloqués par les autorités bélarusses.

Derrière cette impasse et l’accueil de ces êtres humains totalement livrés à eux-mêmes, se cachent plusieurs enjeux politiques. 20 Minutes fait le point.

Comment ces migrants se sont-ils retrouvés bloqués à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne ?

Plus de 2.000 migrants campent actuellement dans le froid devant la frontière polonaise, côté biélorusse. Ils ne sont pas arrivés seuls jusqu’ici. « Depuis le mois de juillet, la Biélorussie accorde des visas touristiques à des ressortissants d’une vingtaine de pays », explique Virginie Guiraudon, directrice de recherches au CNRS au centre d’études européennes de Sciences po Paris. Ils arrivent en avion d’Irak, de Turquie, du Moyen-Orient, du Maghreb ou d’Afrique. « Une fois arrivés à Minsk, ils sont emmenés à la frontière par les forces de l’ordre, qui leur font miroiter le fait qu’ils pourront entrer très facilement en Allemagne », poursuit la spécialiste des politiques migratoires européennes.

Mais une fois sur place, ces migrants se retrouvent en réalité bloqués à la frontière polonaise, où les autorités ont érigé de hautes barrières barbelées. Côté polonais : pas moins de 15.000 gardes-frontières, policiers et militaires. Coté biélorusse : des forces de l’ordre qui les empêchent de rebrousser chemin. « Ils leur ont parfois pris leur portable, leurs affaires ou tirent des coups de feu en l’air », rapporte Virginie Guiraudon.

Pourquoi la situation est-elle particulièrement critique ?

Des familles avec des enfants en bas âge se retrouvent piégées sur cette petite bande de terre au cœur d’une forêt marécageuse et touffue. En raison de l’arrivée de l’hiver, très froid dans la région, leur situation est particulièrement dangereuse. « Ils dorment dehors, il n’y a pas d’abris, certains se perdent dans cette immense forêt car il n’y a pas vraiment de chemins », rapporte Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS et autrice de nombreux ouvrages et articles de revues scientifiques sur les migrations et les politiques migratoires. Une dizaine de migrants sont déjà morts sur place, certains d’hypothermie. Une situation aggravée par le fait que la Pologne a déclaré l’Etat d’urgence et ne laisse pratiquement aucune ONG accéder à la zone.

Pourquoi la Biélorussie a-t-elle amené des migrants à la frontière polonaise ?

« Cette situation a été créée de toutes pièces par le gouvernement d’Alexandre Loukachenko, dans l’idée de faire pression sur l’Union européenne suite aux sanctions prises par celle-ci », assure Virginie Guiraudon. L’UE a en effet accusé le gouvernement d’avoir truqué les élections présidentielles d'août 2020. Alexandre Loukachenko en est sorti vainqueur et effectue actuellement un sixième mandat consécutif. Les tensions sont montées d’un cran en mai dernier, lorsque le gouvernement biélorusse a détourné un avion Ryanair afin d’arrêter l’opposant Roman Protassevitch. Plusieurs Etats membres de l’UE ont alors conjointement appliqué des sanctions financières envers la Biélorussie.

« Faire peur à l’Europe en utilisant les migrants comme otages est une nouvelle forme de pression diplomatique internationale », analyse Catherine Wihtol de Wenden. En effet, si c’est la première fois que la Biélorussie agit de la sorte, elle n’est pas le premier pays à le faire. En février 2020, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait laissé les frontières de son pays ouvertes pour faire pression sur Bruxelles. Plus récemment, en mai 2021, le Maroc a été accusé de faire du chantage à l’Espagne en laissant passer clandestinement ses ressortissants vers l’enclave de la Ceuta. « C’est ce qu’on appelle de l’instrumentalisation de migrants », résume Virginie Guiraudon. Reste que pour les deux expertes, utiliser des êtres humains comme moyen de pression a peu de chance de fonctionner avec l’Union européenne.

Pourquoi la situation reste-t-elle bloquée ?

La Biélorussie dément en bloc avoir organisé la venue des migrants aux frontières de l’UE. Difficile, dans ces conditions, de dialoguer et de trouver une issue. Les espoirs sont donc tournés vers la Pologne. Mais le pays n’est pas réputé pour accueillir à bras ouverts les migrants. En 2015, lors de la crise des réfugiés, il avait affirmé sans détour qu’il ne voulait pas de demandeurs d’asile sur son sol. La politique du gouvernement ne semble pas avoir bougé depuis. « Le nombre de militaires déployés à la frontière est particulièrement important par rapport au nombre de migrants », constate Virginie Guiraudon, qui trouve la situation presque démesurée. « Il y a une volonté du gouvernement de ne pas laisser la situation s’enliser avec l’installation de camps, comme c’est le cas par exemple en Grèce. »

Les institutions de l’UE et certains Etats membres ont proposé une aide financière et logistique à la Pologne, mais elle la refuse catégoriquement pour l’heure. « La Pologne considère que l’Union européenne n’a pas à lui dire quoi faire en la matière », explique la directrice de recherches à Sciences po. « La cour constitutionnelle polonaise, qui n’est pas considérée comme indépendante, a affirmé mi-octobre que le droit Européen n’était pas supérieur au droit polonais », poursuit l’experte. C’est-à-dire qu’elle s’autorise à ne pas respecter les décisions de l’UE ou de la Cour de justice européenne en matière de respect des droits de l’Homme.

Quelle peut-être l’issue de cette crise migratoire ?

En refusant l’aide européenne, la Pologne bloque la situation. Or, si la Biélorussie est à l’origine de cette situation, Varsovie « pourrait être accusée de non-assistance à personnes en danger si elle laisse mourir des migrants à sa porte », souligne Catherine Wihtol de Wenden. Un drame qui pourrait être évité si la Pologne décidait de laisser passer l’aide humanitaire.

D’autre part, « pour au moins savoir si ces migrants peuvent demander l’asile – ce qui est leur droit – ou s’ils doivent être renvoyés chez eux, il faut les laisser passer pour les contrôler et les enregistrer », assure Virginie Guiraudon. Une mission, dit l’experte, dont pourraient se charger les instances européennes et qui permettrait d’espérer une sortie de crise. Une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU est prévue ce jeudi sur le sujet.