Chine : Pourquoi le pays demande-t-il à ses citoyens de stocker de la nourriture ?
PENURIE•Dans un message à sa population, le ministère chinois du Commerce a recommandé de faire des stocks de vivres « au cas où »Jean-Loup Delmas
L'essentiel
- Lundi, le ministère chinois du Commerce a invité la population du pays à faire des stocks alimentaires de première nécessité.
- L’annonce n’évoquait aucune raison particulière, appuyant plus sur un motif de prudence.
- Derrière ce discours mystérieux, le pays risque-t-il une pénurie ?
Un avis affiché sur le site Internet du ministère chinois du Commerce lundi soir invite « les ménages à stocker une certaine quantité de produits alimentaires de première nécessité afin de faire face aux besoins quotidiens et aux cas d’urgence ». Le communiqué n’explique pas les raisons d’une telle demande et ne fournit pas plus de précisions, laissant planer les doutes et les inquiétudes.
Dans le même temps, le ministère appelle les différentes autorités locales à faciliter la production agricole et les flux d’approvisionnement, à surveiller les réserves de viande et de légumes et à maintenir la stabilité des prix. Le mois dernier, les prix de 28 denrées alimentaires étaient en hausse de 16 % par rapport au mois précédent, a rapporté lundi la presse chinoise, s’appuyant sur des données officielles.
Les confinements comme impact négatif
La Chine risque-t-elle une pénurie alimentaire ? Plusieurs éléments factuels peuvent le faire penser. Premièrement, le pays a vu sa production de denrées alimentaires durement impactée par les nombreux confinements, appuie Mary-Françoise Renard, économiste spécialiste de la Chine, professeuse émérite à l’université Clermont-Auvergne et autrice du livre L’économie dans la Chine*. L’Economic Daily, organe de presse du Parti communiste chinois, a rappelé que de nombreuses familles avaient été « piégées » dans les premiers confinements sans réserve suffisante de riz et de légumes.
Or, la Chine voit une remontée des cas de coronavirus, ce qui l’inquiète à quelques semaines des Jeux olympiques de Pékin. Cette remontée est officiellement sans commune mesure avec celles constatées en Europe : la Chine et son 1,4 milliard d’habitants n’aurait recensé que 71 nouveaux cas quotidiens ce mardi, après 92 cas lundi. Si on enlève les comparaisons avec l’Occident, il s’agit du plus haut décompte national depuis mi-septembre.
Conséquences conjoncturelles
Pour sauver les Jeux, le pays prend donc des décisions radicales. Au moins six millions de personnes ont été confinées, notamment dans la grande ville de Lanzhou, à 1.700 kilomètres à l’ouest de Pékin. « Ces nouveaux confinements pourraient impacter à nouveau une production déjà faible », soulève Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la Chine.
A cela s’ajoute une suite d’évènements naturels qui a sérieusement impacté la production chinoise. En plus des confinements, le pays a connu une série d’inondations l’été dernier, impactant fortement ces récoltes. Pas plus tard que le 11 octobre, de nouvelles pluies intenses ont touché plus de 200.000 hectares de terres agricoles. Plus loin dans le temps, l’épidémie de peste porcine entre 2018 et 2019 avait divisé par deux le nombre de porcs chinois.
Un pays dépendant de l’international pour se nourrir
« Ces difficultés actuelles et conjoncturelles s’ajoutent à une vulnérabilité structurelle de la Chine en matière d’alimentation », appuie Jean-Vincent Brissel. Le pays ne contient que 8 % des terres cultivables mondiales, alors qu’il abrite 20 % de la population. En conséquence, la Chine est le pays qui importe le plus de denrées alimentaires. Selon le département de l’Agriculture des Etats-Unis, en termes d’importation mondiale en 2020, le poids de la Chine représente 29 % du bœuf, 48 % du porc, 60 % du soja et 25 % de l’orge.
Cette dépendance offre de nouvelles théories sur cette mise en garde à la population, comme le propose Mary-Françoise Renard : « Que la Chine fasse ce genre d’appel à sa population pourrait être une anticipation de relations diplomatiques plus tendus à l’international, notamment à propos de Taïwan. »
Les trois premiers exportateurs de denrées alimentaires à la Chine sont les Etats-Unis, le Canada et l’Australie, trois pays occidentaux qui prendraient forcément le parti de Taïwan en cas de tensions avec la Chine. « Pékin se doute peut-être que la situation va s’envenimer et redoute des sanctions, notamment sur les importations alimentaires », théorise la chercheuse.
Vers des mouvements de panique ?
Une telle annonce ne risque-t-elle pas de créer un mouvement de panique au sein de la population chinoise, traumatisée par plusieurs grandes famines ayant causé plusieurs dizaines de millions de morts, notamment lors du Grand bond en avant dans les années 1950 ? « Il faut rappeler que c’est une petite annonce sur le site du ministère du Commerce, et non pas déclamé par le président en personne ou par le Parti lui-même », note Jean-Vincent Brisset. Pour Mary-Françoise Renard, la nourriture se stocke moins bien que d’autres produits ayant provoqué des mouvements de panique et autocréer des pénuries, comme l’essence.
Il n’empêche, la plupart des pays occidentaux, dont la Chine dépend alimentairement, voient les médias faire leurs choux gras de cette annonce de Pékin. Le pays se tire-t-il une balle dans le pied à prévenir ses principaux vendeurs de ses craintes ? « Aussi risqué soit-il de l’annoncer officiellement, le gouvernement chinois n’a pas fait ça par hasard et a mesuré les conséquences. S’il encourage sa population à stocker, c’est qu’il estime encore plus dangereux de ne pas le dire », souligne Jean-Vincent Brisset. De quoi semer encore quelques inquiétudes sur cette annonce.
*Edition La Découverte, 2020